Je rentre du rassemblement des "Citoyens Résistants d'Hier et d'Aujourd'hui" qui se tient chaque année sur la Plateau des Glières, un haut lieu de la résistance à l'occupant nazis. J'étais cette année au nombre des "invités d'honneur", appelé à témoigner de la longue et belle lutte que nous menons depuis plus d'un an pour sauver notre maternité de l'Ouest du Var. Et qui n'est pas finie...
"Bonjour à toutes et à tous !
"Vais-je vous surprendre, si je vous dis que, dans l'un des territoires les plus dynamiques du Sud, les plus prometteurs en terme de démographie, de développement, d'avenir, dans l'Ouest du Var, on est en train de priver, d'un trait de plume technocratique, douze communes, 200000 habitants, de leur maternité publique, la seule - publique ou privée - de ce territoire !
"200000 habitants. Plus que la population de certains départements français ! Un équipement hospitalier construit il y a moins de 20 ans ! Et qui plus est, situé au cœur d'un quartier populaire d'habitat social de près de 15000 habitants, où on a tant besoin du service public égalitaire ! Il faudra désormais aux parturientes faire plus d'une heure de voiture pour aller accoucher...
"Cela se passe à La Seyne-sur-Mer, 62500 habitants, deuxième ville du Var, 8ème de la Région.
"Voilà le décor. Les acteurs, c'est l'Etat, un certain Etat, et certains dirigeants... Vous savez... De ces dirigeants qui se placent d'eux-mêmes, sans qu'on ait besoin de les forcer, dans la seule perspective de serrer les dépenses d'intérêt général et de long terme, au détriment des gens. Et au profit... du profit.
"Cette principale ville de l'Ouest Var, accolée à Toulon, est la ville dont je suis le maire. Maire de gauche, ça s'entendra sans doute un peu dans mon propos, mais qui ai fait front avec mes collègues des villes voisines, tous d'autres couleurs politiques, tous de l'autre côté...
"Et d'abord, bien sûr, avec les acteurs sociaux, les syndicats, les associations,
"Et avant tout, et surtout, avec les habitants.
"Et, d’abord, j'ai écrit, puis j'ai fait des points de presse, Sans effet. Nous avons alors manifesté, fait des flashmobs, j'ai installé mon bureau de maire dans le hall de l'hôpital, j'ai campé sur ses pelouses. J'ai tout essayé. Sans effet. En face, le silence et le mépris.
"Et puis, un jour, je me suis dit que, dans une société médiatisée à outrance, une action visible, une action lisible, devenait indispensable ; une action accomplie par un personnage regardé par ses concitoyens, un maire, le citoyen-maire que je suis, pour quelques années...
"Je me suis dit qu'il fallait tenter quelque chose en complément des autres moyens de lutte.
"Je me suis dit que, fort de ces luttes collectives, justement, les sacoches pleines de 21000 pétitions collectées en quelques semaines, le maire que je suis pouvait enfourcher une monture populaire, simple, non polluante...
"Une monture lente comme la transmission des idées et des arguments, comme la transmission de l'esprit de résistance... Une monture persévérante et patiente... un vélo.
"Bref, j'ai pensé qu'en enfourchant cette bicyclette du Sud à Paris, en me faisant accompagner de quelques copains et d'un camping-car, et en faisant des escales tout au long d'un trajet à travers la France pour aller déposer les signatures indignées de mes concitoyens sur le bureau du ministre de la santé d'alors...
"... je me suis dit qu'en faisant cela, je serais un modeste agent de liaison des gens, un agent de liaison des luttes pour ces services publics, qui ne sont rien d'autres que la marque d'une république moderne, équitable, solidaire.
"Alors me voilà parti, avec mon équipage à travers le pays. Maillots jaunes de la course revendicative, pédaleurs quotidiens d'un périple humain, tellement humain.
"Tellement à hauteur de femme et d'homme.
"Et se sont enchaînées des rencontres... Anonymes ou amicales, de sympathie ou militantes... des complicités fugitives de commerçants ou de routiers qui me souriaient et me saluaient car ils avaient entendu parler d’un élu local du Sud pédalant pour une juste cause... Des citoyens...
"Et, partout, des élus locaux, mes semblables, aussi près de leur peuple, aussi près des gens, et qui n'ont pas eu besoin de grands discours pour comprendre que c'était un citoyen-élu, comme eux, qui arrivait là...
"Me suis-je demandé une seule fraction de seconde s'ils étaient de droite, ces élus, ou de gauche, ou du centre, du centre gauche, ou ailiers droits ou attaquants de pointe ?
"Le périple, sans être un exploit sportif, loin de là, sous la pluie ou le soleil, n'était pas toujours de tout repos...
"On a échangé, on s'est passé des infos, en direct, comme ça, d'humain à humain...
"Un jour, un prêtre anglican avec un groupe de campeurs anglais ont voulu signer notre pétition... Que trouvaient-ils d'intéressant dans cette course pour une maternité en danger ? Oh, juste une redondance de lutte contre ce que, eux, britanniques, vivent depuis des années... contre le rouleau compresseur du néo-libéralisme, contre la casse systématique, impitoyable, chez eux, comme ici, la casse de tout ce qui fait passer l'humain avant tout !
"Alors, oui, l'été dernier, j’ai fait 1000 km à vélo pour dire qu'il faut de la politique, de la vraie politique, là où trop de politiques ont pris la technocratie comme chien de garde de leurs objectifs de gestion.
"Oui, les agences régionales de la santé, les ARS, comme d'autres agences, sinistres, en leur temps, ont appliqué servilement, froidement, stupidement, habilement, avec zèle et détermination, avec une compétence proprement effrayante, une ligne de gestion politique - car s'en est une -, vidant toute vie sociale de sa substance et mettant le calcul égoïste au centre de tout.
"Lors de mon périple, j’ai mesuré, sur tous les territoires que j’ai traversés, les affres et les désastres de cette politique.
"Mais j’ai trouvé partout des foyers de lutte toujours incandescents, partout des collectifs, des mouvements solidaires, des voix à l’unisson, partout le désir de ne jamais se résigner, même dans les combats perdus
"J'ai pris, bien humblement, la mesure des responsabilités d’un élu de la République. Je n’étais pas personnellement en danger, mes enfants sont nés et sont grands, ma vie n’était pas en cause, mais la vie des futurs bébés oui, la santé des futures mamans aussi, dont certaines, celles du quartier populaire dont je parlais, directement desservi par l'hôpital, n'ont ni voiture ni de quoi se payer le bus et se verront privées de ces rituels événements, de famille et de voisinage autour de la naissance, ces moments tellement forts affectivement et socialement dans la grisaille de leurs quotidiens,! Qui le dit, cela ? Qui le sait ?
"Et depuis elle l’est, en danger, la santé des mamans, depuis que la maternité a disparu, en mars, en catimini, dans une ultime tromperie, et, avec elle, le centre d’IVG aussi a disparu. Et, ça, c’est aussi grave, sinon plus.
"On laisse faire ?
"On laisse proposer - imposer - ça aux usagers de l’hôpital public, en échange de pseudo économies d’échelle ?
"On les laisse être exposés chaque jour, oui, chaque jour, à un danger de plus, on laisse exposer la santé des gens aux aléas des marchés financiers ?
"On laisse réduire comme peau de chagrin un service public vital dans le maintien de l’égalité de traitement des êtres humains ? cette égalité, inscrite aux frontons de nos mairies et au préambule de la Constitution...
"On laisse progresser l'illusion que l'on aura plus en étant à chaque fois toujours un peu moins considérés, un peu moins protégés, un peu moins égaux, un peu moins libres…
"Alors voilà. C'était en été, dans un relatif désert médiatique, que j'ai entrepris ce périple à vélo. Une bonne "fenêtre de tir", comme diraient les lanceurs d'Ariane ou les publicitaires, au choix...
"Et avec tous les ingrédients d'une cause juste et humaine, le bruit médiatique a enflé, enflé... Il a couru, bien plus vite que nos vélos...
"Et, de rencontres en rencontres, au fil du parcours, mon action pour la maternité en est naturellement venue à retrouver toutes les luttes pour toutes les maternités, pour tous les hôpitaux, pour toutes les postes, tous les transports, tous les services sociaux, toutes les écoles, les crèches et les universités... Les services publics de proximité, les services publics tout court....
"Et, après dix-sept jours, depuis mon dernier camp de base au camping du Bois de Boulogne, je suis arrivé à Paris devant le ministère de la santé, bien sûr, mais surtout au kilomètre zéro des routes de France, sur le parvis de Notre-Dame-de-Paris, avec un rassemblement chaleureux de centaines de personnes, au cours du mois d'août...
"Et durant mon périple, à trois reprises, j'ai eu la fierté, l'honneur et le bonheur d'avoir une visite de quelques Citoyens résistants d'hier et d'aujourd'hui. Et on m'a proposé de dire un témoignage ici aujourd'hui. Voilà. S'il a quelque utilité, ce témoignage, comme tous les autres, tous les vôtres, c'est celle de nourrir un immense front humain et militant, large, divers, ouvert, pour la république, pour la France et bien au-delà, même si ça fait pompeux de le dire, pour un autre monde !
"On a parlé récemment de l'Allemagne, on en parle encore, comme si c'était l'Allemagne, l'ennemie !! Quelle honte ! Comme si c'était l'idée d’Europe en elle-même l'ennemie !
"C'est de manipulations de ce genre que les guerres se sont nourries, et qu'elles ont éclaté comme la nuée portant l'orage ! Ce n'est pas en disant aux Allemands : "luttez avec nous contre un système insupportable" que l'on déclenche la guerre... Oh non, sûrement pas.
"Ce qui a déclenché les guerres et ce qui les déclenche encore, c'est l'indifférence à la souffrance des peuples, c'est l'esprit d'abandon et de fatalisme, c'est le culte des marchés tout puissants, en particulier les marchés financiers ! Et cela, ce n'est pas une affaire de petite frontière et de nationalisme étroit !
"Aujourd'hui, je veux donc tout simplement me joindre à vous pour apporter ma voix à un appel de plus à la vigilance et à l'intransigeance.
"Je le fais modestement, la suite de tous les appels à l'indignation - à l'image bien sûr, de celui de Stéphane Hessel -, contre les forces glacées d'égoïsme, contre d'énormes, de titanesques, intérêts privés d’actionnaires sans états d’âme...
"C'est à cela qu'il faut... résister.
"Vous savez, je n’ai aucune leçon à donner. Juste une parole à faire entendre, juste une parole à tenir et à porter, un fil tendu pour retrouver nos traces.
"La préoccupation des populations est-elle le seul fait des élus qui les représentent, sans quoi les gens seraient livrés à eux-mêmes ? Est-ce une nouvelle acception de la notion de solidarité ?
"Ces mêmes élus qui, devant s’extirper du spectacle quotidien d’une information qui se doit d’être palpitante au point de rejoindre, dans le grand abreuvoir, le modèle de construction des séries américaines, ces élus doivent faire plus, pour délivrer un message citoyen, sous peine d’être coupés par la pub.
"Est-ce là le reflet de la société que nous voulons ?
"Et comment un élu ne dirait-il pas un mot sur le dévoiement de la démocratie ?
"Quelle est cette nouvelle forme de courage qui veut que l’on se réfugie derrière des officines privées chargées de repousser les limites du supportable chez la grande majorité des français ? quelle est cette nouvelle forme de dialogue qui veut que l’on se taise jusqu’à l’explosion indignée, ignorée, ou réprimée ?
"A quoi servent les édiles ? quelle est cette conception de la responsabilité ?
"Alors, j’ai utilisé les moyens, les canaux, la période, les supports qui, font que dans ce grand brouhaha, on puisse enfin se faire entendre, tenter de rétablir les voies normales de l’échange.
"J’ai enfourché mon vélo, je me suis vêtu de jaune pour qu’on me voit, pour qu’on me distingue, j’ai emporté la parole des gens avec moi… et je me suis fait qualifier de pitre alors que je n’étais que porte parole...
"J’ai aussi entendu dire que ce n’était pas comme ça qu’on faisait de la politique. Certains s’attendaient à ce que je faiblisse, que j’abandonne. Et ce dont je suis assez fier, c’est que mon accoutrement, je l'ai dit, a vite cédé le pas à l’objet de cette aventure, au sens de ma démarche.
"Mais je le demande : faut-il qu’aujourd’hui, en plus de leur écharpe, que les élus, les mandataires provisoires de la parole du peuple, arborent un costume tapageur et un nez de clown ?
"Dans une société en guerre, on doit lutter discrètement, dans une société en guerre économique et sociale, dans une société médiatique, on doit au contraire avoir l'obstination tapageuse... Ce rassemblement même, personne ne l'a oublié, a connu il y a quelques années un formidable essor contre une autre forme de tapage médiatique, honteusement récupérateur, celui-là.
"Je veux espérer que le seul "bling-bling" que l'on entendra ces prochaines années, sera le son des moyens accrus accordés enfin aux femmes et aux hommes, et à l'investissement utile.
"Restons, plus que jamais, sur nos gardes."
> Un regard sur ce rassemblement 2012, sur la chaîne TV8 Mont-Blanc...
> Et un autre, sur la chaîne France 3...
> Et sur "Le Canard Enchaîné"...