C'était, ce dimanche, le jour officiel dédié à la mémoire des victimes des camps de concentration et d'extermination nazis.
Comme chaque année, en ce dernier dimanche d'avril, nous l'avons commémoré à La Seyne. Et, comme chaque année, j'ai prononcé une allocution.
Un propos qui n'a pas fait sourciller ceux, présents, et pour certains arborant des écharpes d'élus régionaux, qui, à une semaine du deuxième tour de l'élection présidentielle, promeuvent les mêmes idées que celles qui, il y a huit décennies, ont fait basculer le Monde dans l'horreur.
J'ai mal. Mais, bon, voici mon allocution...
« Mesdames, Messieurs,
« "… Nous avions perdu tous nos droits, et d’abord celui de parler ; on nous insultait en face chaque jour, et il fallait nous taire ; on nous déportait en masse, comme travailleurs, comme Juifs, comme prisonniers politiques… Puisque le venin nazi se glissait jusque dans nos pensées, chaque pensée était juste une conquête… à cause de cela nous étions libres…"
« Ces mots sont extraits d’un texte paru à Paris, le 1er décembre 1944, d’une publication jusqu’alors clandestine « L’éternelle revue », créée sous l’occupation par Paul Eluard. J’y reviendrai.
« La mise en œuvre de l’extermination systématique d'un groupe humain, qu'il soit de même langue, ou de même nationalité, ou de même culture, de mêmes mœurs ou coutumes, de même particularité physique, au nom de la prévalence de la soi-disant race, ou religion, ou terre d'origine, quelle que soit l’époque, est une abomination.
« Dès sa prise de fonction, Hitler crée, avec le soutien des nazis, les premiers camps. Seront internés les opposants au régime, les « asociaux », tous ceux qui n’entrent pas dans la norme national-socialiste.
« Il faut dire et redire que ces monstres sont arrivés au pouvoir en janvier 1933 par une sorte de "coup d’Etat légal".
« Je vais expliquer ce que je veux dire par ces termes...
« Hitler est élu régulièrement ; il est à la tête d’un parti devenu premier en Allemagne mais qui reste minoritaire au Parlement. Cependant, le maréchal von Hindenburg, président en exercice et chef de file des aristocrates et des industriels allemands le nomme chancelier – Ces insensés pensaient pouvoir contrôler ce dirigeant du parti nazi !
« Hitler, conscient de la situation, manœuvre alors sans vergogne. Il dissout le Parlement, provoque de nouvelles élections… le Reichstag brûle… un jeune communiste hollandais est accusé… suivent cinq semaines fatidiques car sans contrôle parlementaire.
« Cela permet à Hitler d’instaurer un régime de terreur, de provocations et d’intimidations… l’élection est faite aux élections suivantes… Hitler est majoritaire ! Sous l’accusation de trahison, il fait interner les opposants élus… Et voilà, avec les apparences de la démocratie, comment Hitler obtînt les pleins pouvoirs !
« Avec la guerre, le système concentrationnaire prend une autre dimension et à partir de 1941, il s’intègre dans la mise en place de la "solution finale de la question juive", "l'Endlösung". Les camps d'extermination se multiplient, essentiellement de l'Allemagne à la Pologne. Ils feront plus de 6 millions de victimes, opposants politiques marqués du triangle rouge, Juifs à l'étoile jaune, tsiganes au triangle marron, prostituées et lesbiennes au triangle noir, Témoins de Jéhovah au triangle violet, gays au triangle rose, criminels de droit commun au triangle vert, apatrides au triangle bleu, handicapés physiques et mentaux, vagabonds...
« Et l’Etat français collaborationniste, quoi qu’en disent certains encore aujourd’hui, prend sa part de l’ignominie.
« La déportation, les camps d’internement, de travail, de mort, resteront à jamais comme la pire des dérives commise par les hommes contre l’humanité.
« Cette très rapide chronologie montre l’enchainement terrible des événements, lié à la seule croyance que des hommes seraient supérieurs et que d’autres pourraient être avilis.
« Comment de telles idées ont-elles pu grandir, être appliquées sans protestation massive ?
« Hitler promettait au peuple allemand l’amélioration de la vie et le maintien de la paix : "Donnez-moi quatre ans, et vous ne reconnaitrez plus l’Allemagne".
« Quatre ans plus tard, les acquis sociaux étaient détruits et les libertés fondamentales étaient bafouées…
« Après la guerre et sous l’impact des horreurs révélées, la société a fortement évolué avec des droits reconnus, des personnes, des femmes, à penser librement, à accéder aux soins, à s’informer, à se déplacer, à disposer librement de son corps. Et, pourtant, ces droits sont maintenant contestés entre le trop et le pas nécessaire.
« Partout reviennent les indifférences barbares, une dureté égoïste d’un côté et une pauvreté renaissante de l’autre. Aujourd’hui, l’individualisme est roi, il touche le droit, l’organisation de la société, les mœurs.
« Ce n’est plus « qu’est-ce que je fais pour la société ? » mais « où sont mes intérêts ? ».
« L’autorité - de l’institution, de la famille, du cadre de vie -, celle qui décide du cadre général des conduites, est rejetée au profit de la nébuleuse des réseaux sociaux, qui ont leurs formidables côtés mais qui sont aussi utilisés sans grand discernement.
« De nouveaux comportements sont aux antipodes d’une organisation sociale, politique, qui cherche, par la réflexion de tous, par la discussion, à se connaître et à comprendre les éléments constitutifs de la condition commune qui permettent des choix pertinents et collectifs, tout en rendant possible l’exercice des droits individuels.
« Les textes que nous avons entendus précédemment sont importants, merci à ceux qui les ont dits et choisis, car ils montrent les saines mais vaines tentatives de résistance aux premières mesures.
« Ces résistances ont été d’initiatives individuelles, mais de portée symbolique, d’essence humaniste.
« Certes elles ne pèseront pas lourd lorsque les méthodes, brutales des nazis provoqueront une terreur généralisée.
« Aussi, instruits de ces précédents,
« Nous sommes rassemblés pour nous souvenir et rendre hommage aux victimes, à ceux qui ont sacrifié jusqu’à leur vie pour combattre le nazisme.
« Nous sommes rassemblés pour combattre ceux qui réfutent les évidences factuelles, ceux qui entretiennent un terreau de haine et d’exclusion.
« Nous sommes rassemblés parce que les replis nationalistes à l’œuvre aux Etats-Unis, en Europe, comme avec le Brexit, sont des signaux alarmistes.
« Nous sommes rassemblés parce que ce n’est pas ce qui rassemble qui importe à de trop nombreuses personnes mais ce qui différencie.
« Nous sommes rassemblés parce que notre société, devenue plus dure, plus indifférente et plus égoïste, nous inquiète.
« Nous sommes rassemblés parce qu’une infime partie de la population accapare l’essentiel de la richesse produite au détriment de populations entières.
« Nous sommes rassemblés parce que la grande Histoire nous enseigne que l’inquiétude des peuples peut devenir dévastatrice.
« Je vous ai dit que je reviendrai au texte de mon début de propos :
« "… la Résistance fut une démocratie véritable : pour le soldat comme pour le chef, même danger, même délaissement, même responsabilité totale, même absolue liberté dans la discipline. Ainsi, dans l’ombre et dans le sang, une République s’est constituée, la plus forte des Républiques. Chacun de ses citoyens savait ce qu’il devait à tous et qu’il pouvait compter que sur lui seul ; chacun réalisait, dans le délaissement le plus total, son rôle historique et sa responsabilité. Chacun d’eux, contre les oppresseurs, entreprenait d’être lui-même, librement, irrémédiablement. Et en choisissant lui-même dans sa liberté, il choisissait la liberté de tous. Cette république sans institutions, sans armée, sans police, il fallait que chaque Français la conquière et l’affirme à chaque instant contre le nazisme… ne peut-on souhaiter que la République de grand jour conserve les austères vertus de la République du Silence et de la Nuit ?"
« Ces indicateurs doivent nous ouvrir les yeux, avertis de l’Histoire, nous ne devrions pas céder aux manipulations mais les démasquer ! Je pense :
- à la glorification identitaire, à la haine des autres, des faibles, des minorités
- aux désignations de boucs émissaires : étrangers, opposants, journalistes
- aux spoliations déguisées en mesures réparatrices de faits imaginaires
- à la distribution de cadeaux bien ciblés : emplois, honneurs, pots-de-vin
- à la corruption généralisée au profit de quelques uns
- aux pratiques de tromperies, de falsifications, de tri des informations
- à l’autopromotion, voire la célébration d’un homme ou d’une femme
- à la destruction de l’Etat de droit, de la séparation des pouvoirs
- aux manipulations mensongères ; plus la ficelle est grosse, plus le culot est grand, plus l’adhésion aveugle progresse
- à l’usage de la violence, justifié et institué
- à la peur utilisée comme un moyen ou comme un objectif
« Ne baissons pas les bras et réaffirmons, avec force et conviction, que nous défendons une France laïque, où la liberté de conscience, la liberté de penser et la liberté d’exprimer des opinions dans le respect des lois est inscrite dans notre Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. "
« Notre volonté est, encore et toujours, de perpétuer le projet de vivre ensemble, sans haine ni rejet, dans la richesse de nos différences.
« Vive l'amitié des peuples de l'Europe et du Monde ! Vive la France de la République ! »