27 août 2017 7 27 /08 /août /2017 03:37

C'est inhabituel que j'y prenne part. C'est d'ordinaire Raphaële Leguen, notre Première Adjointe, qui préside la cérémonie de commémoration de la libération de La Seyne, survenue le 26 août 1944, non que j'estime devoir bouder ce moment fort de la vie communale, mais simplement parce que, nous répartissant entre élus nos temps de congés, c'est usuellement mon tour en cette deuxième quinzaine d'août. Sauf cette année, soixante-treize ans après que les nazis ont été chassés de chez nous.

Sous un soleil de plomb, après avoir honoré, devant la stèle apposée au boulevard du 4 septembre en leur mémoire, les trois policiers seynois résistants fusillés quelques jours avant la libération de notre cité, puis parcouru en défilé solennel les quais de notre port, j'ai prononcé une allocution. Je la livre aux visiteurs de mon blog, illustrée des fort belles photos qu'Isabelle Servais m'a aimablement offertes.

 

« Jeudi dernier, l’Espagne, la Catalogne, Barcelone, ont été le théâtre meurtrier d’actions terroristes. Des gens de tous âges sont morts ou ont été blessés parce le fanatisme ne veut faire aucun discernement ! Rendons leur hommage…

 

« Dans l’esprit des Alliés, le débarquement en Provence est la suite nécessaire de celui de Normandie. Les premiers objectifs sont les ports de Toulon et de Marseille pour l’approvisionnement des armées de libération.

 

« On l’a vu, c'est à la 1ère armée française, commandée par le général de Lattre que reviendra l’honneur de s’engager la première. Cette armée d’Afrique, composée des forces ayant rejoint la France libre, de la Légion étrangère, des Zouaves et des Tirailleurs, fit feu de tout bois.

 

« La 1ère Division Française Libre, les Marsouins de la 9ème Division d’Infanterie Coloniale, la 3ème Division d’Infanterie Algérienne, le groupe naval d’assaut, les commandos d’Afrique, débarquent le 15 août dans le golfe de St-Tropez, dans la baie de Cavalaire et au Cap Nègre.

 

« Leur volonté farouche fera mentir les prévisions. Les libérations interviennent avec des  semaines d’avance.

 

« Les combattants de l’ombre, descendus de leurs maquis, avaient préparé le terrain.

 

« Le territoire de La Seyne, comme il a été décrit précédemment, est donc libéré le 26 août. Le port et les chantiers navals étaient un enjeu et donc une cible. L’ennemi se livra aux destructions des infrastructures de manière à ralentir les futurs approvisionnements arrière.

 

« A La Seyne, les troupes allemandes s’ingénièrent à réduire à néant toutes les installations portuaires : quais, grues, machines, ateliers, entrepôts, cales de lancement... Le 17 août, ce que les bombardements des Alliés n’avaient pu faire pour gêner la Kriegsmarine, elles allaient le réaliser en quelques heures.

 

« Les mines ruinèrent la construction navale pour plusieurs années. Seul, le pont basculant, fêté cette année de belle manière pour ses 100 ans, est miraculeusement épargné. Enfin... façon de parler, car sa sauvegarde fut l'œuvre de résistants agissant au sein de l'entreprise...

 

« Nous devons la libération de notre ville à la 9ème Division d’Infanterie Coloniale, partie de la "merveilleuse" armée d’Afrique, ainsi que la qualifia le vice-amiral Giraud le 14 juillet dernier alors qu’il remettait la Légion d’Honneur à l’un de ces libérateurs seynois.

 

« Comment imaginer que cette armée composée en grande partie de troupes disparates fût si efficace, si enthousiaste, si solidaire, qu’elle obtînt le respect du haut commandement allié ?

 

« Au regard de ce qui s’est passé la semaine dernière, parce que Barcelone se revendique ville cosmopolite et ouverte, mais aussi parce que, le 12 août, à Charlottesville aux Etats-Unis, un activiste raciste a foncé sur des contre-manifestants, cette armée constitue une référence : celle des bienfaits de la diversité et du volontarisme, que, ramenée à nos jours, je souhaite évoquer.

 

« Depuis près de 10 ans, l’Union Européenne, traverse une tourmente inédite par son ampleur.

 

« Sa dernière traduction - hors terrorisme -, le Brexit, est le signe que, dans les opinions publiques européennes, le nationalisme de rejet est actif. Dans plusieurs Etats, des partis qui prétendent redonner au peuple la parole et la souveraineté, sont de plus en plus populaires. Ils en appellent à une essence nationale, unique et irréductible, à une seule communauté politique valable selon eux, celle du "peuple national", à préserver des agents dissolvants ou métissants qui, soi-disant, la menaceraient.

 

« Ce populisme souverainiste, souvent cocardier et excluant, progresse dans les urnes des pays de l’Union. On voit bien comment la xénophobie, l’islamophobie ou l'antisémitisme, comme le thème du retour à la matérialité des frontières, inspirent les mesures de contrôle, de surveillance, sécuritaires et patriotiques, et d’érosion des libertés publiques.

 

« Ainsi pour un certains nombre d’Européens, l’espoir réside dans une communauté nationale restaurée, protégée qu’elle serait d'influences allogènes et extérieures trop différentes de son essence et de ses valeurs supposées.

 

« Cette hiérarchisation autorise non seulement le mépris, mais aussi le sentiment de supériorité au nom duquel on peut tout aussi bien déshumaniser et asservir que, prétendument, civiliser et dominer.

 

« La colonisation et la guerre de conquête d’antan ont cédé la place à l’entre soi.

 

« Pourtant, c’est un constat, l’Europe née de la seconde guerre mondiale a voulu se transformer en espace politique de paix.

 

« C’est rare et attractif dans la réalité géographique du monde tel qu’il est. On pourra toujours se dire que l’Europe est imparfaite. Elle l'est. Comme le sont les hommes…

 

« Et c’est bien pourquoi, en la défendant, nous devons l’améliorer. Mais cette vision, d’absence de frontières et de paix, ne peut pas s’imposer si les politiques européennes jouent contre les peuples – non pas les peuples au sens d’essences nationales, mais au sens des communautés sociales et solidaires.

 

« Elle ne peut s’imposer que si elle contribue à donner à chaque individu, à chaque communauté sociale, et à chaque communauté politique nationale, l’assurance et la perspective d’une égale dignité et d’un avenir prometteur. Sans cela, le sentiment du déclin devient l’horizon. Et la communauté excluante, la perspective.

 

« Oui, on est loin d’une réalité sans défaut. Par le passé - nous fêtons une libération survenue il y a 73 années -, nous avons connu notre lot de dictateurs et autres idéologues sanguinaires.

 

« Ils ont imposé à l’ensemble de la société des règles strictes de renoncement à tout ce qui pourrait divertir le peuple de ses devoirs sacrés envers Dieu ou le Parti.

 

« Ils ont eu l’obsession de la pureté, qui a conduit à "l’épuration”, au refus de la différence, à la volonté d’éliminer les intellectuels et les artistes irréductibles. Et ça n'est pas fini : pensons à l’exemple récent de Liu Xiaobo, entre autres...

 

« Enfin, ils prônent l’éradication de l’art et de la culture, qui pourraient développer l’esprit critique, et aussi et surtout l’enrôlement de la jeunesse.

 

« Ainsi, récemment, le 11 juin 2014, "l’Etat" Islamique promulguait une charte régissant la vie : elle impose, entre autres, le voile intégral aux femmes et l’habit dit “afghan” aux hommes, le port de la barbe, sa longueur et sa taille.

 

« Cible privilégiée de ces radicaux, les enfants, surnommés les “lionceaux du califat”, sont embrigadés dès l’âge de 6 ans pour en faire des soldats ou des terroristes.

 

« Et, le pire n’est jamais loin, les femmes et les enfants des terres conquises sont considérés comme “butins de guerre” et vendus sur les marchés.

 

« Non, décidément, nous sommes loin de nos idéaux des “Lumières” !

 

« Je disais, le 14 juillet, que “la liberté ne se réalise que par l’égalité” ; j’ajoute avec Rousseau que “seule une égalité en droit entre les hommes [et les femmes] peut assurer le règne conjoint de la liberté et de la sécurité”.

 

« Mais ne soyons pas pessimistes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le monde est plus pacifique au XXIe siècle. Depuis la fin de la guerre froide, il y a eu moins de guerres ; en France, moins d’homicides.

 

« Parallèlement, la culture de la paix progresse et, si on en croit Kant, “les êtres humains sont mauvais par nature mais raisonnables”.

 

« Il s’agit donc de revenir aux principes énoncés par les Conventionnels de notre Révolution française : concilier le “droit à l’existence”, “l’égalité des jouissances” avec le respect de la propriété privée, s’engager dans la formation d’un “homme nouveau”, allant vers le “bonheur commun”, une “idée neuve en Europe” disait Saint-Just en 1794, et j’ajouterai “dans une société laïque”, gage de tolérance.

 

« Pour conclure, je n’oublie pas que des populations souffrent, que la guerre sévit encore dans bien des endroits du monde et que l’actualité est désespérante.

 

« Alors, même si les temps économiques sont rudes, si les efforts qui nous sont demandés s’accroissent, si notre solidarité est toujours plus sollicitée, si notre travail d’acceptation des autres et de leurs différences est à parfaire… il ne faut pas bouder notre présent, ici et maintenant.

 

« Les destructions de la libération, 65% de notre ville, sont dépassées. Nous vivons en paix, dans des conditions enviées, dans une ville qui se renouvelle et qui avance !

 

« Les hommes ne peuvent faire et maintenir la paix entre eux que s’ils cultivent en eux-mêmes l’esprit de paix, de tolérance, de compassion. C'est le message que nous ont légué nos libérateurs.

 

« Honneur, donc, à eux, ceux de la 1ère Armée française libre, comme ceux des groupes de résistance et des Forces françaises de l'intérieur, qu'ils demeurent aujourd'hui des nôtres ou qu'ils aient donné leur vie pour la France et la Liberté.

« Et que vive La Seyne, libre, diverse, et ouverte, dans la France de la République et dans le Monde de l'amitié entre les peuples ! »

 

 

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Publié par Marc Vuillemot - dans Devoir de mémoire Idées et politique générale