Ce jeudi soir, devant le monument aux morts, nous nous sommes rassemblés pour l'hommage annuel aux harkis et autres supplétifs de l'armée française lors de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc. Je livre aux visiteurs de mon blog le discours que j'ai prononcé à cette occasion. Et qui semble n'avoir pas eu l'heur de convenir à certains, qui ont manifesté leur désapprobation pendant mon propos et après, alors même que la cérémonie se poursuivait, obligeant le maître de cérémonie à les rappeler à l'ordre. Je laisse chacun juge...
« Je le disais il y a deux ans, les harkis, et les autres membres des formations supplétives de l’armée française, comme vous et moi, étaient des gens ordinaires.
« Français, ils ont cru l’être à part entière. Mais ceux qui arrivèrent en métropole après 1962 ne furent pas les bienvenus. Cette situation a été vécue avec beaucoup d’amertume et de rancœur. Ils ont séjourné dans des camps, des hameaux forestiers, des cités de transit qui ne leur ont pas permis de trouver une place convenable au sein de la société française.
« L’histoire ne se refait pas. Mais le temps, le recul, une meilleure connaissance, font que la compréhension des situations complexes, même tardive, est possible, et que cette compréhension rend à son tour possible l’hommage réparateur.
« C’est pourquoi nous sommes rassemblés les 25 septembre pour cet hommage national à ceux qui, après avoir apporté leur contribution à l’action de l’armée française, n’ont pas bien été payés de retour. Le Président Jacques Chirac, il y a une douzaine d'années, a voulu cet hommage, et c’est bien ainsi.
« Encore et toujours se pose la question de l’Autre, et de ce que certains appellent « son intégration ». En France, nation des droits de l’Homme, fiers de l’esprit des Lumières, nous pensons qu’une intégration réussie est une assimilation.
« J’ai dit « assimilation ». Ce n’est pas un vilain mot. Oh, je sais que certains voudraient que nous soyons tous des Gaulois, et que, à défaut, seuls ceux-ci aient droit à la considération ! D’autres encore, au contraire, refusent violemment d’en être et se recherchent des racines incertaines »
« Non, l’assimilation ce n’est pas cela. En entendant « assimilation », on entend « similaire ». La plus ancienne définition que le centre national des ressources textuelles et lexicales a pu retrouver est celle de Goulain, en 1374 : « action de bien intégrer un élément extérieur ».
« L’assimilation, c’est considérer que l’accueilli veut être, non l’identique, mais le similaire de son semblable qui l‘accueille, et que ce dernier veut faire acte d’accueil.
« Alors, oui, l’assimilation, c’est reconnaître chacun pleinement et égalitairement comme citoyen dans le cadre de la République.
« Bien sûr, la sphère privée peut être revendiquée et la République la protège. C’est pourquoi nous devons être très attentifs à ne pas renverser les priorités. La République, son organisation laïque qui défend les libertés individuelles, prime sur la conviction intime… qui doit le rester : pas d’ostentation, pas de diktat dans le domaine public. C’est la modération et la discrétion qui font le bien-vivre ensemble… et c’est vrai pour tous.
« Nous vivons dans un monde de rencontres, de mélanges, et de remises en cause. Les mélanges et les flux migratoires existent depuis toujours, La Seyne en est un exemple avec l’immigration italienne ; puis des Polonais et des asiatiques ont fait souche ; puis ce fut l’immigration subsaharienne, tunisienne, algérienne, marocaine, et l’est de l’Europe a pris le relais.
« L’anthropologie a montré depuis longtemps que la migration, les mélanges, sont à l’origine de la race humaine moderne : l’homo sapiens est la seule race des hommes qui soit admise par les scientifiques. D’ailleurs, depuis 2013, le mot « race » a été supprimé de la législation française, première étape vers une disparition, souhaitée par beaucoup, de ce terme dans le préambule de notre Constitution. Bien sûr, comme le député communiste André Chassaigne, qui a porté le projet de loi, nous sommes convaincus que « ce geste ne suffira pas à effacer le racisme ».
« Et c’est pour cela que nous devons lutter ensemble contre la fabrique des ghettos, contre l’isolement des cultures et le durcissement des radicalismes.
« Le seul espoir que nous ayons n’est pas dans la nostalgie d’une pureté originelle, complètement illusoire, mais dans l’ouverture vers l’interculturel. Rêver d’une identité nationale figée sur le modèle du XIXe siècle serait aujourd’hui une imbécillité. Dans la rencontre des cultures et des civilisations, chaque apport a son importance, et nous ne pouvons demander à quiconque de renoncer à la moindre part de son héritage.
« Et c’est ce que nous faisons, entre autres, en organisant cette journée solennelle d’hommage : nous montrons notre capacité à regarder sereinement à la fois notre avenir et notre histoire, dans tous ses aspects.
« Vous le savez, il ne peut y avoir d’humanité sans mémoire, sans l’oubli des rancœurs. Se souvenir doit nous ressouder, c’est le but de cet hommage rendu à toutes les victimes, les mortes pour la patrie qu’on honore aussi en d’autres occasions, et, en particulier ce 25 septembre, celles ayant échappé à la mort mais meurtries de la guerre d’Algérie et de ses suites que, pour beaucoup, la France a trop longtemps oubliées.
« Souvenons-nous. Ressoudons-nous. Ainsi, de toutes nos forces, nous lutterons contre la propagation du racisme et de la xénophobie.
« Et puissent - et en cette semaine ça a du sens ! - ces desseins-là irriguer la planète ! La France républicaine a le devoir d’y contribuer. Vive la France républicaine ! »