Tandis que certains prennent le risque d'échauffer les esprits en revenant a posteriori sur une décision du Conseil municipal relative à une dénomination de voie publique contre laquelle ils ne se sont pas insurgés lorsqu'elle leur a été proposée et contre laquelle ils n'ont pas voté en séance, nous avons ce dimanche, d'ailleurs en leur absence remarquée par beaucoup et même un peu raillée par certains — ce que je regrette car ce n'était ni le lieu ni le moment —, rendu l'hommage dû aux victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et aux « Justes de France ». Devant les élus, les associations patriotiques, les membres des deux centres israélites de La Seyne, la famille du seul Juste seynois connu, et la population, j'ai prononcé une allocution...
"Aujourd’hui, à l’appel de la République — c'est le Président Jacques Chirac, en 2000, qui en a décidé ainsi —, nous appliquons ce que les hommes clairvoyants du siècle des Lumières enseignaient : on ne sort de la nuit que par le rassemblement clair de la mémoire, que par l’obsession de transmettre, que par la lutte contre l’amnésie – si sélective.
"Ils nous ont enseigné qu’il faut lutter, sans relâche ; lutter pour la préservation de l’esprit critique ; lutter pour la liberté de penser. Cette année nous a montré que cette liberté est toujours à défendre et à protéger. La démocratie est tellement sensible à la violence qu’il est facile de la meurtrir.
"Pour l’heure, c’est à des femmes et des hommes qui, dans les heures très sombres de l’occupation, mirent en œuvre une « résistance non violente » qui sauva de nombreuses vies que nous rendons hommage, et aux victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français.
Mais pas seulement, l’époque et l’actualité remettent dans nos consciences cette « France des haines », unie et désunie par la morale des intérêts que Chateaubriand dénonça en son temps.
"Cette sentence s’applique bien sûr à cet Etat français qui alla au devant des souhaits des nazis, qui les amplifia ; mais aussi à ceux qui aujourd’hui prônent le repli et l’exclusion.
"Haine de l’étranger, parce que Tzigane ; haine de l’étranger en son pays, parce que Juif ; haine de l’étranger aux bonnes mœurs, parce qu'homosexuel ; haine du journaliste, parce que critique ; haine du policier, parce que garant de l’ordre républicain ; haine du migrant, parce que trop pauvre ou encombrant.
"Il faut avoir à l’esprit qu’il est bien plus facile de retourner à la barbarie que d’en sortir...
"Et c’est donc dans la boue la plus noire que se sont révélés des femmes et des hommes d’exception qui, non seulement ne crièrent pas avec les loups, mais ont eu le courage, dans la plus grande discrétion, de venir au secours de victimes. Parmi eux, il y eut beaucoup de « simples gens » dont l’héroïsme quotidien consista à accueillir des enfants juifs, à cacher leurs familles, à les soigner, ou à les faire passer en zone libre. Simples gens, parce qu’ils n’en tirèrent pas gloire mais surent, contre l’autorité, garder leurs valeurs d’humanisme, de partage, de communion. Ils sont à jamais des Justes parmi les Nations.
"En rendant hommage aux victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français, du régime nazi, en rendant hommage aux Justes, nous rendons justice à l’humanité. « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser », écrivait Camus.
"Par leurs actions désintéressées, ils nous ont enseigné que, même dans la plus grande adversité, alors même que le désespoir envahit les âmes, la moindre action positive, si ténue et insignifiante sur l’instant, sera réconfortante plus tard.
"Aujourd’hui, nombreuses sont les régions du monde où les hommes s’affrontent. De plus en plus, les conflits s’enlisent du fait, moins de velléités de conquêtes, que de volontés d'imposer une idéologie, une religion, des mœurs. Les raisons de s’opposer traversent les habitants des mêmes contrées, niant aux uns ce que l’on exige pour les autres.
"Alors, devant cette sculpture que La Seyne doit à la pugnacité de notre ami Jean, fils de Roland Huillet, reconnu Juste pour avoir caché et aidé des Juifs lors de sa captivité dans un hôpital militaire en Allemagne, devant le seul mémorial — à ma connaissance — dans le Var, si l'on excepte une plaque à Belgentier, devant cette œuvre de Michel Stefanini que nous avons érigée il y a quatre ans, faisons le vœu, en nous inclinant avec respect face aux victimes et aux Justes parmi les Nations, que l'on se garde d'attiser les braises des haines, notamment pour des questions de petite politique, y compris locale, et surtout que les irrédentistes de tous bords soient enfin touchés par les grâces des valeurs des Lumières."