Comme chaque année, après le défilé traditionnel, à l'occasion de la Fête Nationale, j'ai prononcé un discours devant notre Monument aux Morts, en présence des représentants de la Marine Nationale, et notamment la Préparation militaire marine dont La Seyne est la marraine, le 519ème groupe de transit maritime jumelé avec notre ville, les élus, les associations d'anciens combattants, résistants et victimes des guerres, leurs porte-drapeaux, notre philharmonique "La Seynoise", notre clique, les corps constitués, la population et nos visiteurs...
"Cette fête du 14 juillet est la remémoration du rassemblement des fédérés venus en 1790 à Paris de toutes les régions du pays pour marquer son unité, à l'occasion du premier anniversaire de la chute de la Bastille, aboutissement imprévu d’une longue réflexion conduite par des esprits novateurs tout au long de ce XVIIIe siècle qualifié par l’Histoire de siècle des Lumières.
"C’est l’avènement de la démocratie, la suprématie de l’organisation citoyenne sur l’absolutisme royal ou divin. C’est aussi l’émergence de l’individu dans le groupe.
"Mais l’esprit des Lumières se heurte à la réalité de la nature humaine qui n'est peut-être pas à la hauteur des exigences. C'est Montaigne qui disait : « Le caractère, les idées, dépendent de la fortune, des circonstances, et subissent les secousses du chaos intime des passions ».
"Etre un homme parmi les hommes est en effet une responsabilité.
"Car, en ce 14 juillet de l'an 223 de la République, notre Fête Nationale est fille et petite-fille de la fête de la Fédération, symbole de la Nation émergente, et de la prise de la Bastille, symbole de la fin de l’absolutisme, le pouvoir de quelques-uns qui cède devant tout un peuple. La Révolution française nous a appris cette vérité : c'est de la responsabilité de tous et de chacun que procède notre liberté, et non pas l’inverse.
"C’est aussi l’éclairage que donne la crise économique et monétaire que traverse l’Europe et le coup de projecteur que provoque l’actualité de la Grèce. Nous sommes confrontés à une situation dont on certains se demandent si la Grèce en est la victime ou la responsable. S’il y avait responsabilité, elle serait pour le moins partagée, car les génies de l’Eurogroupe, depuis toutes ces années, ont laissé faire une succession de dirigeants et de prestigieux banquiers malhonnêtes.
"Ou bien nous nous croyons des hommes libres, capables de responsabilité, et le peuple choisit ; ou bien nous pensons que, finalement, le peuple est incapable de se conduire lui-même. Et un boulevard est alors ouvert pour toutes les formes d'obscurantisme et d'autoritarisme. Et, pour ne rien alléger, ces moments de tension sont aussi l’occasion de dénonciations, de calomnies… Au Moyen-Age, le sport à la mode était d’accuser l’autre de sorcellerie… la calomnie est un moyen redoutablement efficace d’attiser la haine des ignorants et des imbéciles… un jeu dangereux.
"Tentons alors de dissiper une partie de l’ignorance par un rapide retour sur notre histoire.
"Avant la France, nous étions une juxtaposition de peuples celtes, gaulois, romains, de cultures diverses, païennes, plus ou moins inféodés au culte gréco-romain de l’Empereur. Et puis l'empire s’est effondré et s'est christianisé.
"Et puis sont venues les invasions. Les Barbares – c'est-à-dire tous les autres que nous – ont déferlé. Ils sont venus du nord, du centre, de l’est du continent. Ils ont traversé les territoires, et ils ont fait souche. Nous sommes ces barbares. Ce sont eux qui ont créé nos identités régionales, toujours présentes, qui formaient un paysage morcelé, qui vivait d’échanges commerciaux, parfois lointains, et rythmé de guerres locales incessantes. A Vix, à Bourges, et récemment à Lavau, dans l’Aube, des fouilles montrent que l’ambre de la Baltique côtoie le lapis-lazuli des Indes.
"Et ce fut alors une suite de chefs, de rois, qui de Clovis à Mérovée, de Carolus à Capet, découpèrent en trois entités ce qui n’est pas encore l’Europe. L’une d’elles, après moult péripéties, deviendra le Domaine royal (en surface l’équivalent de trois départements) avec une zone d’influence sur les contrées proches dirigées par un Prince ou un Duc. Les siècles passaient, la situation n’évoluait guère ; en 1432, Paris est aux mains des Plantagenêt, ces Anglais honnis de nos vieux livres d’histoire, en vérité une simple affaire de famille : le domaine royal, réduit à la portion congrue, est administré depuis Bourges.
"C’est seulement à la Renaissance, et après les guerres de religion, que l’unité territoriale de la France est réalisée. C’est seulement avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts que le français devient langue officielle en 1539. Mais c’est aussi l’acte de naissance de l’Absolutisme.
"Ainsi la France, à l’échelle du temps, n’est la France que depuis peu, et encore, c’est alors une France de populations qui ne se comprennent pas, qui ne maitrisent pas la langue commune. Ces populations subissent les guerres et elles sont assujetties.
"Il faudra la Révolution pour que se forge le Peuple français. C’est en lui et par lui que réside l’unité nationale, la Nation, le patriotisme, la Liberté (on abolit l’esclavage en 1794), l’Egalité (les citoyens sont égaux en droits), la Fraternité (la Nation organise la solidarité des uns et des autres), la laïcité (la Loi protège la Foi, et la Foi ne fait pas la Loi).
"Là est l’apport majeur de la Révolution : Universalisme, Unité et Solidarité
"Aujourd’hui, bien sûr, l'idée de Nation est traversée de celle de l’Europe des peuples, comme précédemment était la France des peuples.
"A l’échelle des territoires, la solidarité nationale française sait s’exercer, comme dans le cadre des politiques des quartiers prioritaires, pour ne pas parler de notre système de protection sociale qui nous a sauvés en 2008.
"Et, cependant, justement, en 2008, à l’échelle du Monde, les Etats ont bien été complices ou impuissants pour que les financiers continuent, avec cynisme et arrogance, de régir ce que pudiquement on appelle le marché : une vaste bulle spéculative qui se fiche du bien-être de du citoyen et de l’épargnant.
"Mais, à l’échelle de l’Europe, pourquoi tant de palabres pour savoir s'il faut aider les Grecs qui, ayant subi des gouvernements impécunieux, devraient subir au-delà du raisonnable des restrictions drastiques ?
"Alors... 222 ans après la fête des fédérés, la nouvelle ambition de la France dans l'Europe ne devrait-elle être de réactiver partout le concept de fraternité laïque : vivre ensemble, penser collectif, accepter la diversité, organiser le partage ?
"Alors... 222 ans après la fête des fédérés, ne faudrait-il pas, dans un esprit de justice, se donner quelques objectifs simples ? Assurer à chacun sa subsistance avec des chances égales pour tous, améliorer la vie collective en maintenant les outils de la Nation que nous apprécions tant, pour la sécurité, les mobilités, la santé et l'éducation, le développement durable, favoriser l’épanouissement de la personne humaine, la vie de l’esprit, celle de la culture...
"Je terminerai avec la traduction de quelques mots de cette chanson de 1971, vous la connaissez, elle est de John Lennon, et elle a fait parler d'elle, il y a quelques semaines, autour de l'école d'un village de Corse :
Imagine qu'il n'y ait plus de pays.
Ce n'est pas dur à faire.
Plus aucune raison de tuer ou de mourir.
Et pas de religion non plus.
Imagine tous les gens
Vivant leur vie paisiblement...
N'imagine aucune possession.
Je me demande si tu en es capable.
Nul besoin de cupidité ou de faim.
Dans une fraternité,
Imagine les gens,
Se partageant le monde entier...
Tu peux dire que je suis un rêveur,
Mais je ne suis pas le seul.
J'espère qu'un jour tu nous rejoindras.
Et que le monde sera uni.
"Vive la France de la République, vive l’Europe solidaire, et vive le Monde des peuples amis !"