
Comme tous les ans, j'ai présidé ce samedi la commémoration du 14 juillet, notre fête nationale. J'ai expliqué, dans un précédent article de ce blog, pourquoi j'ai décliné l'invitation du Président de la République à assister aux belles cérémonies se déroulant sur les Champs-Élysées.
Et je ne regrette nullement – loin de là ! – d'être resté à La Seyne pour prendre part aux festivités qui se sont déroulées ce vendredi, à la veille de notre 14 juillet, et sur lesquelles je reviendrai dans un autre article, ni d'avoir vécu le temps fort du défilé et du rassemblement de notre population devant notre monument aux Morts, au cours duquel, après la lecture par deux jeunes Seynois d'un très beau texte écrit dans le cadre des activités de l'association "Adolescent Citoyen Souvenir" en lien avec notre Service Municipal de la Jeunesse, j'ai prononcé une allocution que je livre ci-après...

« Mesdames, Messieurs,
« C’est en 1880 que le 14 juillet est devenu jour de fête nationale.
« Ce jour commémore à la fois la prise de la Bastille en juillet 1789 et l’anniversaire de la Fête de la Fédération réalisée le 14 juillet 1790. C’est pourquoi, en rappel de la mobilisation des citoyens venus de toutes les régions de France pour se retrouver au Champ-de-Mars à Paris, les services civils et militaires de défense et de sécurité défilent devant le peuple rassemblé.
« Cette fête est le manifeste, réaffirmé chaque année, de trois idées fortes issues de la Révolution.
« La première est l’affirmation que l’on naît libre... d’où que l’on vienne.
« La deuxième réside dans l’unicité de la Nation, elle est une et indivisible (dois-je préciser que ce principe n’exclut pas la diversité ?...) ; après la Liberté, c’est le volet Egalité.
« La troisième idée forte est que la Nation est partage, c’est la Fraternité, dont Jean Jaurès disait qu'elle est "au-dessus de toutes nos paresses, de tous nos égoïsmes".
« Ainsi, la Fête de la Fédération célébrait la nouvelle unité nationale fondée non plus sur la religion commune, celle du roi, mais sur la reconnaissance par toutes et tous de ces trois principes fondamentaux de notre République.
« Le texte fondateur de 1789, la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen", faisait voler en éclats les liens qui unissaient sous l’Ancien Régime le catholicisme et la société politique.

« La Révolution française nous a appris cette vérité : c'est de notre responsabilité que procède notre liberté.
« Pourquoi ai-je choisi cet aspect de la Révolution, l'émergence de la laïcité, que nous fêtons les 14 juillet ?
« Pour trois raisons : d’abord, ce sont là les prolégomènes de la "laïcité à la française" : liberté des cultes, égalité de traitement devant la loi, acceptation des différences et donc fraternité.
« Ensuite parce que le Président de la République, eût-il tenu un discours devant la congrégation religieuse des Bernardins, et accepté du pape, peu de temps après, le titre de chanoine de Latran, a récemment rappelé devant le Congrès à Versailles ces principes intangibles. Il a souhaité en outre redéfinir le cadre des relations de la République avec les religions, une concorde – pas au sens du Concordat, on doit l'espérer ! – retrouvée dans une culture partagée.
« Enfin parce qu’une information, d’une portée mineure au regard du fil de l’actualité dramatique du Monde, a attiré mon attention : le gouvernement du Land de Bavière, en Allemagne, en dehors du fait de poser un ultimatum à la Chancelière sur la question des migrants, a décidé qu’à partir du 1erjuin, une croix figurerait à l’entrée de tous les bâtiments publics. Bien sûr, chaque pays a son histoire, sa constitution. C'est l'affaire des Bavarois. Mais un journaliste français qui a relaté ce fait a commenté : "La Bavière est un pays catholique. Là-bas, pas de laïcité agressive comme en France."
« A ces mots accolés, "laïcité" et "agressivité", mon sang républicain a tendu mes artères ! J’ai alors repensé à la réponse qu’avait faite Louis Germain à Albert Camus qui lui avait écrit une lettre hommage après avoir reçu le prix Nobel en 1957.

« Camus écrivait ainsi à son vieil instituteur : "On vient de me faire un bien trop grand honneur (…). Mais quand j'ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé."
« C’est l’hommage d’un homme, distingué entre tous, à son instituteur, promoteur de l’institution républicaine, et à l’école formatrice, émancipatrice, des plus humbles aux bien-nés.
« Et Louis Germain répondait à Camus sa fierté, mais je n’extrais que la fin de sa lettre : "(…) Avant de terminer, je veux te dire le mal que j'éprouve en tant qu'instituteur laïc, devant les projets menaçants ourdis contre notre école. Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu'il y a de plus sacré dans l'enfant : le droit de chercher sa vérité. (...). Lorsqu'il était question de Dieu (c'est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d'autres non. Et que, dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu'il voulait. (…) Le Canard Enchaîné a signalé que, dans un département, une centaine de classes de l'École laïque fonctionnent sous le crucifix accroché au mur. Je vois là un abominable attentat contre la conscience des enfants. (…) Ces pensées m'attristent profondément."
« Vous voyez, je rapproche des événements distants de soixante années. En soi, c’est déjà un questionnement.
« Je dois à la vérité de ma relation de ce fait d'actualité la réaction du cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et Freising, à la décision du Land de Bavière. Je le cite : "on ne comprend pas ce qu’est la croix si on ne la voit qu’en tant que symbole culturel". Il n’a pas hésité à dénoncer "l’animosité, les divisions, les troubles" risquant d'être causés par cette décision.

« Nous le savons, le débat est récurrent, et cependant d’une grande actualité. Une actualité qui se préoccupe plus du "supposé signifiant" que de ce qui est réellement signifié. Le moindre signe est sur-interprété. Plus grave, et c’est ce que dénonce l’archevêque de Munich, le signe religieux perd toute signification spirituelle : la foi ne se porte pas au dehors mais au dedans.
« Que penser de toutes ces revendications publiques du religieux qui font de la vie spirituelle toute autre chose qu’une relation fondée sur la foi, si la religion ne se manifeste qu’en système de normes (par exemple contre l’avortement, contre le mariage pour tous, pour le port d'un voile, pour des repas spéciaux dans les cantines publiques) et non comme un système de valeurs (comme la fraternité que certains nomment "l’amour du prochain") ?
« Le concept de laïcité est interprété différemment selon les personnes et les contextes. Le rapport au religieux n’est pas seul en cause, je pourrai évoquer les concepts émergents de "racisation" ou "d’intersectionnalité" qui poussent à catégoriser l’individu selon son origine, ou sa sexualité, ou sa situation sociale.
« De fait, la laïcité, en incitant à la modération dans l’espace public, en imposant la neutralité dans la fonction publique, préserve chacun de l’intolérance, de la manipulation, religieuse ou différenciatrice.

« La primauté de la loi de la République sur toute autre loi évite la mise en concurrence des cultes ou des individus. En effet, d’une façon que je crois claire, la laïcité à la française, bien loin d’être agressive – j'en reviens à notre journaliste –, parle de libertés : liberté individuelle, celle du citoyen, liberté de croire ou de ne pas croire, liberté due aux autres...
« En cela, la laïcité est dans la continuité de l’esprit des Lumières qui présida à la Révolution. Elle rendit, la première, aux Juifs d’être des citoyens, aux femmes de divorcer, aux esclaves d’être libres. Cela, vous le savez, ne dura hélas pas et dut être réinstauré plus tard, non sans luttes. Rien n'est jamais acquis définitivement. Soyons vigilants.
« En tous cas, aujourd’hui, à fêter le 14 juillet comme le rassemblement des citoyens, dans leurs diversités et dans une communauté d’esprit à la française, dans notre défilé et notre rassemblement, ou sous les flonflons ou les feux d’artifices à l'image de celui d'hier soir non loin d'ici sur le Parc de la Navale, nous montrons notre attachement à la République démocratique.
« Alors, oui, vive La Seyne libre, égalitaire et fraternelle, Et, oui, vive la France républicaine, indivisible, laïque, démocratique et sociale. »