Comme à chacune des commémorations patriotiques, j'ai prononcé un discours ce 11 novembre, jour du 96ème anniversaire de l'armistice de 1918. J'ai, du moins, prononcé... une partie du discours prévu, car la pluie qui s'est abattue m'a conduit à l'écourter, mes feuillets détrempés s'étant mués en pâte à papier ! Ce dont ne se sont pas plaints celles et ceux de mon auditoire qui avaient oublié d'apporter un parapluie ! Voici donc mon propos...
"Le 1er août de cette année, à 16 heures, le tocsin a sonné dans les communes de France. Il a résonné en mémoire de ce qu’il avait sonné, 100 ans plus tôt, faisant comprendre à nos anciens sa triste signification : la guerre !
"Le 28 juin 1914, les télégraphes avaient répandu la nouvelle de l'assassinat de l'héritier d'Autriche-Hongrie à Sarajevo. Il n’aura fallu que cinq semaines pour que la première guerre mondiale éclate le 1er août.
"17 millions de morts, 37 millions de victimes.
"Cette guerre devait être rapide et limitée. Elle fut longue et mondiale.
"Si les Français se sont levés pour défendre la Patrie et pour l’idée qu’ils se faisaient de la République, on occulte souvent l’esprit revanchard qui animait les mentalités en ce début du XXe siècle. En effet, la défaite de 1870 contribua beaucoup à l’élan patriotique : la France qui avait perdu l’Alsace et la Lorraine était toujours meurtrie.
"Les appelés de 14 avaient été nourris de cette situation à l’école de Jules Ferry où l’histoire que racontaient les hussards noirs de la IIIe République était quelque peu remaniée. Les vaincus de 1870 devinrent des héros, à l’image d’Epinal d’un Vercingétorix montré comme un glorieux résistant face à l’empire romain. Sur les gravures, c’est un géant qui jette fièrement ses armes aux pieds d’un Jules César assis et grave. Je ne parle pas de cette autre image, connue de tous, de Jeanne d’Arc boutant l’Anglais hors de France, la Mère patrie ! Ainsi, les enfants chantaient dans les écoles « vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » et « nous sommes les petits enfants qui voulons servir la patrie. Nous lui donnerons dans dix ans une armée aguerrie. »
"En août 14, ces écoliers sont les hommes qui partent au front. Ils ont en tête l’esprit de devoir et de sacrifice et sont mûrs pour devenir de la chair à canon.
"Les belligérants croient en la paix mais rêvent d’en découdre, les ambitions territoriales, politiques, économiques sont en fait les vrais moteurs de la course à la confrontation. Les évènements s’emballent, la guerre, prévue courte et de mouvements, s’enlise. Ce sera l’effroyable boucherie où on mourra par milliers pour gagner cent mètres, qu'on reperdra dans la foulée. A la mi-septembre, après un mois de conflit, les armées françaises comptaient déjà 720 000 victimes, 400 000 blessés évacués et 320 000 tués ou disparus.
"C’est dans ce premier mois de guerre qu’intervient ce qui deviendra l’affaire des soldats du XVe corps d'armée. Le conseil municipal a récemment délibéré et nous dénommerons bientôt une avenue en reconnaissance de l’injustice qui leur a été faite.
"Le 11 novembre 14, c’en est presque fini de la guerre de mouvement. La bataille de la Marne et ses taxis réquisitionnés par Gallieni, la course à la mer, sont du passé. Les armées vont s’enterrer pour 4 longues années.
"L’année dernière, j’avais emprunté à la littérature pour décrire l’enfer que vécurent les Poilus.
"Cette guerre reste gravée en lettres de feu dans la mémoire collective qui, comme les sols des sanglants combats, n’oublie pas la mort horrible dans les tranchées. Des hectares entiers sont laissés en friche du fait des sols à jamais souillés par les métaux lourds, les gaz, les munitions inertes ou pas.
"En France, on dit, aujourd'hui encore, simplement, la « Grande Guerre ». D'autres, comme l’historien américain George Kennan, parlent la « catastrophe originelle » du XXe siècle.
"A l'occasion du 100e anniversaire du début de cette catastrophe, de nombreuses études ont été publiées qui tentent de nous expliquer l'inconcevable. Elles retracent minutieusement les calculs des acteurs dans les capitales européennes, les prévisions irréfléchies d'une campagne rapide et glorieuse, la définition d'objectifs de guerre aventureux, ainsi que les erreurs d'appréciation qui ont conduit les nations dans ce chaos.
"Il semble, - il semblait ! -, inconcevable, aujourd'hui, qu'une guerre puisse éclater au cœur de l'Europe. J’espère que le présent – il faudrait que ce qui se passe dans l’est de l’Ukraine s'arrête vite - restera la réalité.
"Car, après la rupture de civilisation que fut la seconde guerre mondiale déclenchée cette fois par l'Allemagne nazie, nous avons remplacé l'équilibre toujours précaire des alliances changeantes entre Etats qui marquait notre continent il y a un siècle par une communauté européenne de droit. L'Union européenne doit continuer à nous permettre de trouver une voie pour régler pacifiquement nos divergences d'intérêts.
"Au lieu de la loi du plus fort, c'est à la force de la loi de régir les rapports entre les Européens.
"La perte de confiance dans le projet européen, du fait du chômage et du manque de perspectives d'avenir, renferme de grands dangers. Un tel climat est propice à la renaissance d'accents nationalistes, emballés dans la mélodie facile de la critique européenne. L'Histoire nous commande de nous y opposer résolument.
"Dans de nombreuses régions du monde, le système fragile de l'équilibre des forces n'appartient toujours pas au passé. Vingt-cinq ans après la chute du Mur et l'ouverture du rideau de fer, de nombreux foyers de crise persistent.
"Cette « Grande guerre », cent ans plus tard, recèle ainsi cette autre résonnance : c’est en 1916 que la ligne Sykes-Picot est imaginée. Elle fixe la carte du Moyen-Orient que nous connaissons.
"Chez nous, le déclenchement de la Première Guerre mondiale est un moment d’histoire, douloureux mais maintenant lointain. En Orient, c’est un évènement fondateur qui redessine les frontières et crée de nouveaux pays : la Turquie moderne, le Liban, la Syrie, l’Irak, la Jordanie.
"L’ancien empire ottoman, entré en guerre auprès de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, sera combattu et démembré à l’est dans la neige et la boue du Caucase par les Russes, aux Dardanelles ou depuis l’Iran à Bassora par les Français et les Anglais, appuyés par la révolte des tribus arabes. Mais, la promesse du grand royaume arabe promis par Lawrence d’Arabie n’est pas tenue.
"Ainsi, d’une seule terre et de trois promesses (protection des Chrétiens d’Orient, sionisme, et panarabisme) les vainqueurs ont tissé un sac d’embrouilles qui dure encore : comment agréger des populations de coutumes et de religions diverses, Kurdes, Arméniens, Turcs, Perses, Sémites, Arabes, Chrétiens, Juifs, Sunnites, Chiites et d’autres encore… ?
"Aujourd'hui, notre monde est plus interdépendant que jamais. Oui, nous devons rechercher la prospérité et des espaces de liberté, mais dans un univers vulnérable où il existe de nombreux points de friction et de non moins nombreux conflits d'intérêts.
"N’oublions pas, qu’en fait, la Grande Guerre a mis fin à la première mondialisation ; que les liens entre les économies et les cultures européennes étaient tels que nombre de contemporains de l'époque jugeaient la guerre impossible, irrationnelle et contraire à leurs intérêts. .. Et, que pourtant, elle a eu lieu.
"La conviction des soldats qui l’ont fait était que, s’ils en revenaient, ils n’oublieraient jamais, absolument jamais.
"Alors pour cette guerre, la profonde, la vraie de vraie, pitié pour ces soldats qui sont morts même s’ils en sont revenus ! Ils n'avaient pas le sang des héros (H.E.R.O.S). Ils ont été des hérauts (H.E.R.A.U.T) de la paix !
"Il est indispensable, désormais, de considérer calmement non seulement nos propres intérêts, mais aussi ceux de nos voisins et partenaires, d'agir de façon responsable et de songer objectivement aux conséquences.
"Les années de la déclaration de guerre de 1914 à l'armistice de 1918 constituent hélas un riche exemple de ce qui arrive quand nous ignorons ces principes.
"Alors, vive l'amitié entre les peuples et les nations, vive la paix dans l'Europe et dans le Monde, et vive la France et sa République !"