12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 09:11

Il y a cent ans, le Monde entrait dans la dernière année d'une guerre qui aura occasionné environ vingt millions de morts et mutilés.

Nous avons commémoré ce samedi le quatre-vingt-dix-neuvième anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918 qui mettait fin au plus ravageur des conflits qu'avait jusqu'à lors connu l'humanité.

Une guerre dévastatrice, mais qui a ouvert des portes vers les temps de l'avenir.

Et, comme il est d'usage, j'ai prononcé une allocution devant notre monument aux morts...

 

« Il y a cent ans, l'année 1917 aura été une période clef de la Grande Guerre.

« En janvier 17, le président américain Woodrow Wilson réaffirme la volonté de son pays de ne pas s’engager. Il renvoie les belligérants dos-à-dos et propose « une paix sans victoire ». Mais il ne sait pas que le Kaiser Guillaume II, sous pression du blocus anglais, a autorisé la reprise de la « guerre sous-marine à outrance » : les « U-boote » ont ordre de couler tous les bateaux qui font route vers les ports britanniques, y compris les neutres.

« En décembre 17, est signée l’armistice entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Russie.

 

« Et, entre janvier et décembre 1917, il y aura eu trois faits qui marqueront bien sûr la guerre, mais aussi le siècle à venir, et sûrement le nôtre, le XXIe, pour bien des années encore...  

- les deux révolutions russes ; le Tsar abdique sous la pression de la rue. Il entraîne son empire dans sa chute et ouvre la voie à une Russie nouvelle qui poursuit la guerre quelques mois.

- l’entrée des Etats-Unis dans le conflit en avril car, outre les attaques contre les navires américains, les Allemands commettent l’impair de tenter de monter le Mexique contre leurs intérêts. L’Amérique rompt alors avec l’isolationnisme qui était la règle depuis l’indépendance.

- et la déclaration de lord Balfour, le ministre des affaires étrangères britannique, en faveur d’un « foyer national juif » en Palestine, sur laquelle je reviendrai.

« Et donc, en avril, les Américains entrent dans le conflit. Leur rôle sera décisif mais il faudra attendre des mois pour voir débarquer en France les premiers « sammies », nom que les Français donnent aux enfants de l’Oncle Sam.

« Durant ce même printemps, alors que la guerre dure depuis trois ans, dont trente mois d’immobilité, le front français est secoué par une vague de mutinerie. Après l’échec de l’offensive Nivelle au Chemin des Dames, en avril, des milliers de soldats refusent de « remonter aux tranchées ». Le mouvement est massif : 30 000 à 40 000 soldats impliqués. Pourquoi ? Parce que le champ des possibles s’ouvre en cette année 1917, les événements se succèdent, dont les grèves de femmes — je vais vous en dire un mot —, les horizons changent !

« D’ailleurs le même phénomène s’observe dans plusieurs autres pays, en Italie, les paysans ; en Russie, l’armée, officiers compris ; en Allemagne, les marins d’origine ouvrière sur fond de lutte des classes ; dans l’empire ottoman, les clivages entre turcs et arabes se révèlent.

« Et, en effet, en échange d’une révolte contre les Ottomans, des promesses ont été faites à Hussein, le Chérif de la Mecque. Ce sont alors les accords entre le Britannique Sykes et le Français Picot. Ils tracent sur la carte une ligne qui dessine les futures zones d’influence : Syrie et Liban pour la France, Irak et Iran pour les Anglais.

« Pourtant, en novembre, de façon totalement contradictoire, le gouvernement britannique, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, s’engage dans une déclaration écrite en faveur de l’installation d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine. Ainsi, dans ce partage, le statut de la Terre sainte, et surtout celui de Jérusalem, reste dans une zone grise… car il est soumis à deux promesses pour un seul territoire ! On sait aujourd'hui ce qu’il adviendra…

« L’hiver 1917 marque un net durcissement de la vie quotidienne. Ainsi, à l’arrière, les femmes osent, pour la première fois, réclamer l’égalité salariale avec les hommes. Ces derniers sont partis au front, les usines sont remplies d’ouvrières qui assurent l’économie de guerre.

 

« En 1917, 430 000 femmes travaillent dans les usines d’armement. L’hiver est le plus froid de la guerre – la Seine est prise dans les glaces, les températures restent sous zéro jusqu’en avril.

 

« Tout est parti de 250 couturières qui apprennent que la paye de leur semaine sera amputée du samedi après-midi. Travailler autant et être moins payé ! Trop c’est trop, l’interdit moral saute : elles feront grève en temps de guerre !

 

« Pourquoi ? Parce que l’effort demandé est injuste : elles subissent des cadences infernales qui les forcent à prendre leur « dînette » de midi sur le pouce – elles resteront d'ailleurs dans les mémoires sous le surnom de « midinettes » -  mais, de plus, à perdre une demi-journée de salaire !

 

« La fièvre gagne la province, surtout les usines d’armement. Ce sera déterminant avec la simultanéité des mutineries, de la révolution russe… Les midinettes sèment la panique : le 29 mai, la Chambre des Députés vote la semaine anglaise dans les industries du vêtement, le samedi après-midi est chômé et payé. L’égalité salariale, elle, attendra. Et elle attend toujours...

 

« Il faut savoir — je m’adresse en particulier aux jeunes des collèges Wallon et Eluard, je les remercie de leur présence —  que les femmes, dans leurs combats, partent de très loin. En effet, les manuels de bonne conduite d'il y a cent ans établissaient qu’une femme se devait d’être discrète lorsqu’elle se trouvait dans une rue. Celles qui marchaient rapidement étaient soupçonnées de mauvaise éducation, tout comme celles qui parlaient à voix haute ou agitaient les bras loin du corps. Il était, bien entendu, hors de question de sortir sans avoir la tête couverte. Seules les filles perdues sortaient, comme on disait... « en cheveux ». À méditer...

 

« Avec l’agitation sociale, si j’ose dire « le ver est dans le fruit » ou encore, si je fais référence à l’expression attribuée à Jaurès sur le libéralisme, « le poulailler libre commence à s’organiser en regard du renard libre ».

 

« Ainsi, c’est avec la Grande Guerre qu’il est envisagé une définition des valeurs d’une société fondées sur la solidarité, l’entraide, le vivre-ensemble et le souci de la planète… Un siècle plus tard, nous désespérons toujours d’y arriver !

 

« Le néolibéralisme proclame toujours qu’il n’y a pas d’alternative à la spéculation financière. La planète n’en peut plus, les masses souffrent…

 

« Si nous n’y prenons pas garde les inégalités économiques, les problèmes climatiques, feront notre linceul aussi sûrement que la boue ravagée des tranchées.

 

« Les droits de chacun à se nourrir convenablement, à se loger dignement, à se déplacer utilement, à s’ouvrir au monde richement, à vivre en paix, sont, encore et toujours, les aspirations des peuples.

 

« En 1917, cette espérance aidait à supporter l’insupportable…

« Voyez, en cette année 1917, les bases d'un monde nouveau étaient en gestation.

« Bien entendu, fin 1917, rien n’est joué. En prenant le pouvoir lors de la révolution dite « d’Octobre » (qui a eu lieu en novembre), Lénine et les bolcheviks ont recentré leurs intérêts, ils signent un armistice, libérant le front de l'est. Soulagé, Berlin jette toutes ses forces à l’ouest…

« Mais c’est en novembre également que celui qu'on appelait « le Tigre » revient aux affaires, à 76 ans, avec pour ligne de conduite la guerre à tout prix. Clémenceau, sénateur du Var, possède une détermination sans faille.

« Il réclame une confiance aveugle, le secret des délibérations. A la chambre des Députés son programme est simple « Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais toujours la guerre ». On le traite de despote ? Il hausse les épaules et menace de remettre sa démission. Il gagnera le surnom de « Père la Victoire ».

« C’est aussi en 1917 que sont développées de nouvelles armes mobiles, les blindés. Des chars d’assaut dont le plus gros prototype, le C2, sera conçu et fabriqué ici même, à La Seyne, dans nos anciens chantiers, les FCM... les Forges et chantiers de la Méditerranée. Il sera testé à Janas et sur la plage des Sablettes… mais ne sera livré qu'après la fin de la guerre !

« Et il faudra encore attendre une année pour que cesse le carnage mondial.

« En ce jour de commémoration, c'est à environ 3 millions de Français, parmi les 20 millions de morts et d'invalides, que nous rendons hommage. Ils furent souvent tués ou meurtris dans des conditions atroces, et je laisse en leur mémoire la conclusion à l'un d'eux, le sergent Duval : « … La nuit arrive et nous nous couchons allongés dans le boyau, sur la terre. Il fait froid et pour comble de malheur il se met à pleuvoir. La terre crayeuse se met à fondre en ruisseaux blanchâtres et, au bout d’une heure, nous ne sommes plus que de pauvres loques boueuses et grelottantes. Enfin le jour morne commence à paraître… Le  [canon de] 75, rageur, hurle par rafales… »

« Souvenons-nous, toujours.

« Vive la France de la République. Vivent les couleurs arc-en-ciel de l'Europe et du Monde des peuples amis. Vive la Paix ! »

 

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Publié par Marc Vuillemot - dans Devoir de mémoire