16 novembre 2017 4 16 /11 /novembre /2017 08:50

Après six mois de « silence radio » ou, pire, d'annonces fort inquiétantes pour les quartiers populaires, il aura fallu le grand rassemblement que, avec une centaine de maires et plusieurs centaines d'acteurs, notamment associatifs et économiques, nous avons tenu en octobre à Grigny, dans l'Essonne, et un appel solennel que nous avons lancé, pour que le Président de la République, après avoir reçu une délégation de maires et d'acteurs associatifs ce lundi à l'Élysée, annonce mardi à Tourcoing, dans le Nord, quelles sont ses orientations pour la « politique de la ville », tant en matière de rénovation urbaine des quartiers urbains prioritaires et fragiles, à l'instar de notre quartier Berthe et notre centre ancien seynois, que d'accompagnement social de leurs habitants.

Son discours, qui a largement été retransmis par les médias, a conduit l'association « Ville et Banlieue » que je préside, qui représente les 1500 quartiers sensibles français, répartis sur plus de 900 communes, à lui répondre sous forme d'une lettre ouverte diffusée nationalement mais que j'ai présentée ce mercredi depuis La Seyne à la presse locale.

Je la reproduis ci-après, avec des intertitres qui ne figurent pas dans le courrier adressé au Président de la République, mais qui « aèrent » un peu le texte...

 

Monsieur le Président,

 

Vos propos de ce lundi à Paris et de ce mardi à Tourcoing en attestent : vous avez entendu l'alerte que, par une première lettre ouverte du 3 août à l'initiative de notre « Association des maires Ville & Banlieue de France », puis par « l'appel de Grigny » en octobre dernier, les territoires urbains fragiles de la nation républicaine vous ont lancée, portant les inquiétudes de leurs cinq millions d'habitants.

 

Il nous semble que vous avez mesuré les enjeux.

 

Vous avez conclu en disant avoir besoin de nous pour « relever la République » dans nos quartiers populaires prioritaires urbains. Nous serons au rendez-vous comme nos prédécesseurs depuis 40 ans.

 

Sur la méthode que vous proposez, nous ne pouvons que vous suivre.

 

 

LA DEMANDE DES MAIRES D'UN PILOTAGE AU PLUS HAUT NIVEAU DE L'ÉTAT ENTENDUE

 

La toute première des 31 propositions que « Ville & Banlieue » a formulées aux candidats de 2017 à la Présidence de la République était, en effet, de « confier au Premier ministre, garant de la mobilisation de tous les services de l’État, le portage de la politique de la ville », afin de « garantir durablement limplication et la discrimination positive de toute la puissance publique ainsi que la solidarité financière et la péréquation nationale et territoriale en faveur des communes et intercommunalités abritant des Quartiers Prioritaires de la Politique de la ville (QPV) ».

 

En décidant de prendre en main vous-même les enjeux républicains de la politique de la ville, vous répondez à notre demande au-delà de nos attentes.

 

 

LES MAIRES SONT PRÊTS À « CO-CONSTRUIRE » AVEC L'ÉTAT

 

Et, en annonçant votre décision de « co-construire » le nouveau chapitre décennal de la politique de la ville avec les élus des territoires, avec les acteurs des quartiers populaires, notamment associatifs, sociaux et économiques, et avec les citoyens eux-mêmes, ceux-là même que vous avez réunis lundi autour de votre table, et en fixant de surcroît un calendrier ainsi qu'en posant les jalons de rendez-vous évaluatifs trimestriels autour de vous-même, vous traduisez votre annonce en objectifs opérationnels.

 

Notre association ne se dérobera pas.

 

C'est d'ailleurs le sens de notre volonté, déjà maintes fois exprimée, que soit corrigé l'oubli de « Ville & Banlieue » parmi les associations d'élus du « bloc communal » invitées à la table de la Conférence nationale des territoires (CNT), dès sa prochaine réunion institutionnelle de décembre prochain. Au nom de la cohésion des territoires, notre association doit y trouver la même place que « l'Association des maires ruraux de France », aux côtés des associations généralistes.

 

Lors de cette séquence de 48 heures que vous avez dédiée aux quartiers urbains fragiles, vous avez ouvert ou conforté des pistes de réflexion et/ou d'action dans des domaines aussi divers que la rénovation urbaine, les mobilités et les transports, l'habitat, le logement, les politiques de peuplement, la dynamisation économique, l'insertion sociale et professionnelle, la lutte contre les discriminations, la prévention de la délinquance et des radicalisations, la sécurité, la justice, l'éducation, dès le plus jeune âge, la formation, la culture et le sport, la santé, ou l'association des habitants à la prise en main de leur destin.

 

Certaines de ces pistes semblent engagées. Nous y reviendrons, mais nous souhaitons dès à présent pouvoir faire partager notre lecture, notamment pour prévenir le risque de ruptures entre les réponses d'aujourd'hui et les voies que vous entendez ouvrir pour demain.

 

 

PAS D'ACCORD SUR TOUT, PAR EXEMPLE SUR LES « CONTRATS AIDÉS »

 

Permettez, Monsieur le Président, que nous prenions un exemple du rôle que nous souhaitons jouer dans la « marche partagée »...

 

Après la confirmation de votre analyse de l'inefficience, que, certes, vous prenez soin de relativiser, des Contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE), nous avons bien compris que, au-delà des quelque 200.000 que vous entendez maintenir, sans qu'il ne soit précisé le nombre en faveur des publics des QPV, ni pour quelle durée, ni pour quels supports de missions publiques (associations ? services de collectivités ? établissements scolaires de l'éducation prioritaire ? circonscriptions de police en zone de sécurité prioritaire ? etc.), ils ne constitueront plus, parmi bien d'autres outils, l'un des leviers de l'insertion professionnelle, d'autres stratégies, plus globales, ayant été annoncées.

 

Comme « co-constructeurs », nous nous permettons, sur la question, de contester votre analyse à notre sens trop globalisante.

 

Car, non, très peu de conventions ont été signées avec des collectivités, la plupart l'ayant été avec des associations, et, s'il est toujours possible de relever quelques cas de « clientélisme », on ne peut généraliser ce reproche blessant qui est fait aux élus.

 

Car, non, votre affirmation selon laquelle très peu de bénéficiaires de ces contrats aidés auraient eu des propositions de formations est erronée ; au contraire, c'est grâce à elles que l'on a pu relever d'excellents taux d'insertion professionnelle durable à leur issue, tant dans le public que dans le privé, les chiffres croisés des ministères en charge du travail et de la politique de la ville en attestent pour les QPV.

 

Car, non, enfin, on ne peut aborder leur évaluation par le seul prisme de l'insertion vers l'emploi, sans mesurer aussi leur apport structurant à l'offre d'accompagnement social, éducatif, culturel, sportif, de médiation, d'insertion, car ils sont souvent les clefs de voûte des édifices associatifs qui agissent au quotidien et qui, sans ces soutiens en ressources humaines, fussent-elles provisoires et en voie de qualification, pourraient s'effondrer.

 

Il nous semblerait hasardeux de voir disparaître le dispositif de ces contrats aidés tant que d'autres stratégies concourant aux mêmes objectifs ne seront pas mises en place et confortées.

 

 

LES QUARTIERS POPULAIRES NE DOIVENT PAS ÊTRE EXCLUS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

 

Au-delà de ce sujet lui-même, que nous avons choisi comme exemple dans la présente lettre parce qu'il relève d'une urgence, nous aurons, nous l'espérons, contribué à vous permettre de situer l'état d'esprit avec lequel, à notre place, nous souhaitons pouvoir honorer votre invitation à la « co-construction ». Beaucoup d'autres pistes restent à travailler et c'est avec la même posture constructive que nous voudrions apporter notre expertise partagée.

 

Nous nous permettons aussi, au-delà des axes de travail que vous avez fixés dans vos propos de ce début de semaine, d'en suggérer d'autres auxquels nous sommes attachés. Il nous paraît ainsi, à titre d'exemple, que nos quartiers urbains fragiles doivent faire l'objet d'attentions toutes particulières en matière de développement durable et soutenable au regard de l'urgence environnementale. Les QPV doivent être des laboratoires de la ville durable, et leurs habitants bénéficier, ne serait-ce que pour des raisons économiques, sociales et sanitaires, des meilleures réponses relevant de la transition énergétique. Ces questions-là nous semblent majeures dans la République du XXIe siècle. Elles nous paraissent devoir, comme d'autres, être ajoutées au menu des défis à relever.

 

Autre élément de méthode, vous avez conforté notre sentiment que les QPV recèlent en eux-mêmes, par leurs habitants et leurs acteurs, de nombreux atouts. Les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être, les initiatives et les expériences, dans tous les domaines que vous avez évoqués, attestent du bien-fondé de votre projet de s'appuyer sur eux pour donner corps à l'ambition républicaine que nous partageons.

 

 

DES EXPÉRIMENTATIONS, D'ACCORD, MAIS SANS DÉLAISSER AUCUN QUARTIER

 

Les élus de « Ville & Banlieue » sont donc disposés à accompagner la mission que vous avez confiée à Jean-Louis Borloo pour opérer un recensement des initiatives territoriales fructueuses, leur valorisation, et préparer, autant que possible, leur essaimage dans l'esprit d'égalité et de solidarité territoriale qui doit prévaloir.

 

Si, donc, nous sommes plus que favorables à apporter notre contribution à toute démarche de recherche-action expérimentale, nous tenons néanmoins à attirer votre attention sur l'urgence sociale et économique qui a justifié nos inquiétudes et sollicitations pressantes.

 

Vous avez évoqué à plusieurs reprises votre volonté d'engager des expérimentations sur certains de nos quartiers urbains, en nombre limité, parfois en précisant qu'elles seront ciblées sur certains d'entre eux, tantôt « les plus fragiles »ce qui reste un concept à préciser –, tantôt ceux situés dans les très importantes agglomérations, tantôt ceux des villes où les quartiers prioritaires constituent la quasi totalité du territoire.

 

Si nous comprenons la volonté de tester la faisabilité de telle ou telle réponse avant de la généraliser, nous vous engageons à être attentif à ce que les stratégies expérimentales ne fragilisent pas les actions de l'ensemble des quartiers prioritaires.

 

Aucun des 1500 quartiers retenus dans nos 900 communes pour bénéficier de la bienveillance « discriminante » de la puissance publique ne doit voir réduits les moyens spécifiques qui lui sont alloués par les contrats de ville, tant en rénovation urbaine qu'en accompagnement social, que par les mécanismes de péréquation et de solidarité financière nationale et territoriale dont il bénéficie aujourd'hui.

 

Cette dernière remarque nous conduit à conclure sur le sujet urgent et crucial des moyens financiers de l'ambition républicaine que nous partageons avec vous.

 

 

DES ORIENTATIONS ET UNE MÉTHODE, C'EST BIEN. MAIS DES MOYENS FINANCIERS SONT INDISPENSABLES !

 

La loi de finances 2018 est en cours de débat au Parlement. Nous vous avons alerté sur nos craintes de diminution de divers appuis financiers de l'État au regard des éléments dont disposent les parlementaires, et vous avez donné l'assurance qu'aucune commune « en politique de la ville » ne subirait pour 2018 quelque perte de financement d'État, ni en dotation ordinaire ou de solidarité, ni en compensations comme celle du Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), ni au titre de l'un ou l'autre des leviers de la péréquation. Nous vous en savons gré.

 

De même, votre décision, unanimement saluée, de doter la rénovation urbaine du double des cinq milliards d'euros initialement prévus, doit, dès le budget 2018 dédié à l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), à la présidence de laquelle vous avez choisi de désigner l'un des vice-présidents de notre association, Olivier Klein, voir une première traduction budgétaire concrète. Les 15 millions annoncés aux députés n'y suffiront pas, surtout après deux années « blanches »courageantes, pour les élus locaux comme pour les habitants représentés dans les conseils citoyens qui ont placé tant d'espoirs dans leur association au devenir de leurs quartiers.

 

Et il reste à poser d’autres actes budgétaires en réponse aux attentes et, désormais, aux orientations que vous avez assignées, comme l'indispensable doublement des crédits du fameux « BOP 147 » si nécessaire à la mise en œuvre d'actions concrètes durables...

 

Nous formulons donc dans l'urgence le vœu que votre engagement encourageant soit entendu par le gouvernement et la majorité des parlementaires qui ont à arrêter le budget de l'an prochain. Il y a là une urgence extrême au regard du calendrier législatif. Or, au regard du sort réservé en ce moment même aux amendements proposés par divers députés pour aller simplement dans la voie que vous-même avez définie, on peut légitiment concevoir une inquiétude.

 

À sa simple place d'association d'élus de territoires, mais avec toute la détermination de ses membres à agir pour relever le défi de l'égalité publicaine, ainsi qu'elle l'a fait en tirant le signal d'alarme depuis l'été dernier, notre « Association des maires Ville & Banlieue de France » se tient prête à s'inscrire dans la démarche que vous impulsez. Nous tenions à vous l'exprimer. Vous pouvez compter sur elle.

 

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

 

Sur Var-Azur-TV, après la présentation de la « lettre ouverte » au Président de la République...

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Publié par Marc Vuillemot - dans Rénovation urbaine - aménagements et habitat