J'évoquais hier dans un article de ce blog les commémorations au cours desquelles nous nous efforçons d'exercer notre devoir de mémoire. Certains pensent que c'est désuet, moi je crois que c'est important et loin d'être du temps perdu, tant nous avons besoin de repères d'hier pour guider nos choix d'aujourd'hui. Il y a une semaine, je participais à Toulon à une cérémonie commémorative du génocide arménien toujours pas reconnu par l'État turc (photo ci-contre), puis, le lendemain, à La Seyne, à la journée du souvenir des victimes des camps nazis.
Mon discours de ce 25 avril...
"Sitôt arrivés au pouvoir, en janvier 33, Hitler et les nazis créent les premiers camps comme Bergermoor ou Sachsenburg. Y seront internés les opposants au régime, les « asociaux », tous ceux qui n’entrent pas dans la norme national-socialiste.
"Avec la guerre, le système concentrationnaire prend une autre dimension et, à partir de 1941, il s’intègre dans la mise en place de la « solution finale de la question juive ». Les camps se multiplient partout en Europe, par dizaines : les camps de concentration dont celui de Natzweiler-Struthoff en France, les camps d'extermination de l'Aktion Reinhardt en Pologne, les camps du programme Aktion T4 pour l'assassinat systématique de plus de 100 000 aliénés et handicapés, ou des camps de rééducation et de redressement, comme celui de Schirmeck en France, qui a reçu 10 000 Alsaciens et Mosellans.
"Les déportés de France sont estimés à plus de 160 000 personnes, dont 80 000 victimes de mesures de répression, des prisonniers de droit commun, des infirmes, des homosexuels, des déportés politiques et des résistants, 75 000 Juifs, des Tsiganes.
"D'ailleurs, deux films récents traitent du sort réservé aux Juifs et aux Tsiganes en France : La rafle pour les uns, Liberté pour les autres.
"Ces deux films montrent la collaboration et l’implication de la police et de la milice de Vichy. Une collaboration pour le moins active. La France, par la voix du président Chirac, a fini par dire ce qu’il fallait dire à ce sujet, mais récemment, trop récemment.
"Et puis, soyons, et modestes, et modérés. Une récente expérience de télévision nous le démontre : le libre-arbitre de chacun est largement conditionné, surtout quand tout est fait pour que nous nous soumettions à une autorité morale sans prendre la peine de penser.
"Et une leçon est donc que nous devons tout mettre en œuvre pour combattre le « prêt à penser » ou les solutions simplistes, surtout si elles sont prises sous le coup de l’émotion.
"Non, mille fois non, par exemple, à l’automaticité des peines. C’est l’honneur de la justice de considérer chaque cas comme particulier, de prendre le temps de l’analyse et de mesurer la peine.
"Le juriste Cesare Beccaria, au XVIIIe siècle, avec la publication de "Dei delitti e delle pene" (Des délits et des peines), ne disait pas autre chose. Il était en avance sur son temps mais en phase avec les idées des Lumières. Le code pénal, la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif, judiciaire, sont issus de sa réflexion.
"Gardons-nous de revenir en arrière. Que signifierait, par exemple, un Parquet décidant de l’instruction, sans que sa dépendance au pouvoir ne soit reconsidérée ?
"Avec la libération des camps puis le retour des premiers survivants, le monde entier mesura l’ampleur de la déportation et de son horreur.
"Mais partout, le pouvoir choisit, à l’exemple des déportés eux-mêmes, la pudeur, le silence.
"Peu à peu, et encore aujourd'hui, les archives se sont ouvertes, les langues se sont déliées, les historiens ont établi – ou rétabli - quelques vérités, les politiques ont reconnu des erreurs, les cinéastes ont mis des images sur l’indicible.
"Oh ! cela soulève encore bien des polémiques : Pie XII, les Alliés ? Qui savait ? Quoi ? Quand ? Devaient-ils ou pouvaient-ils agir ? Quelle était la priorité ? Gagner d'abord la guerre ou détruire en premier lieu les camps ? Fallait-il choisir !
"Les nazis et leurs complices, eux, poussèrent leur logique meurtrière jusqu’au bout : des trains entiers continuèrent le transport des déportés au détriment de l’effort de guerre. Une folie, la haine.
"Enfin, rendons hommage aux Justes, et à tous ceux qui surent, contre tous les courants, aller contre la facilité en assumant un danger mortel en cachant des hommes, des femmes, des enfants voués à la déportation.
"Nous, nous sommes rassemblés pour ne pas oublier, ni la folie des hommes, ni l’abnégation de certains... et ni l’espoir, car, c’est dit dans la version française du Lied der Moorsoldaten - le Chant des marais -, qui avait été composé par des déportés allemands dès 1934 :
"… un jour dans notre vie, / Le printemps refleurira, / … / Ô terre enfin libre / Où nous pourrons revivre, aimer !
"Donnons à nos enfants les raisons d’espérer en un monde meilleur.
"Cette année, je terminerai par l’hommage rendu par Jean Tenenbaum, Jean Ferrat, à tous les déportés, à son père mort à Auschwitz.
"Nuit et brouillard... Une chanson écrite dès 1963. 18 ans après la libération des camps. Les autorités ne pouvaient entendre ces vérités : l’ORTF l’a "déconseillée", pour ne pas dire... censurée... notre peuple, heureusement, l’a plébiscitée.
"Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel / Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou / D’autre ne priaient pas… / …
"Elle se termine sur ces paroles...
On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été
Je twisterais les mots s'il fallait les twister
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez
"C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Et qu'il faudra faire toujours."