Nous avons commémoré ce dimanche matin le 66ème anniversaire de l'armistice de 1945. L'occasion pour moi de livrer quelques idées...
"1er septembre 1939 : l’Allemagne nazie déclenche par l’invasion de la Pologne l’une des guerres les plus meurtrières de l’histoire de l’Humanité.
"8 mai 1945 : la même Allemagne nazie capitule, sans condition.
"Entre les deux dates, presque six ans, et des nombres de l’horreur : 2.000 milliards de dollars de dégâts, 55 à 60 millions de morts, dont 21 millions de soviétiques, près de 18 millions de militaires des deux camps, près de 40 millions de civils, 6 millions de Juifs victimes de l’Holocauste, autrement appelé la Shoah, qui signifie « catastrophe » en hébreu, les deux tiers des Juifs d’Europe exterminés, dont 90% de ceux de 7 pays.
"Mais aussi des millions de soldats qui ont remporté les victoires décisives pour la Liberté, des centaines de milliers de résistants de tous les pays, y compris ceux des forces de l’Axe, au moins 22.000 « Justes parmi les Nations », ces non-Juifs qui ont risqué leur vie pour sauver un nombre incalculable de Juifs voués à ce génocide paroxysmique. Nous les honorerons d’ailleurs en juillet en inaugurant un mémorial sur le parc de la Navale.
"Les guerres, et celle-ci en particulier, font comprendre cette étrangeté de se sentir étranger dans son propre pays. Ce fut le cas de nombreux Français.
"Ainsi, faudrait-il des circonstances exceptionnelles pour remesurer, non pas ce qui nous différencie, mais ce qui nous porte, ce que nous avons en commun, malgré nos différences ? Le 24 avril, pour le souvenir de la libération des camps, je terminais mon propos par ces mots : « Et riches, et forts, et beaux de nos différences ».
"Faut-il fatalement une guerre pour se mettre sur le chemin d’une reconnaissance mutuelle, sur la voie de l’hospitalité dans une dimension morale et politique ?
"J’ai évidemment en tête ce qu’on a appelé récemment « le printemps arabe » et ses conséquences à nos frontières. La question est ouverte, elle est complexe.
"Ce que je souhaite exprimer, ici devant ce Monument, devant les drapeaux, devant notre population, devant la jeunesse des écoles, c’est que chacun, vous, moi, l’Autre, l’Étranger, nous n’existons que dans la pluralité des cultures, des langues, des religions… Et, en passant, je veux redire, et redire encore, que seule la Laïcité donne existence à cette vérité première.
"Nous voilà donc de nouveau confrontés à l’opposition sociologique entre communauté et société.
"La communauté est un « comme moi » … ou à l’inverse un... « comme eux ». Dans le premier cas, malgré les différences de classe, de courants philosophiques, politiques, religieux, étaient, par exemple, les combattants, les militaires ou ceux des armées de l’ombre, tous semblables dans leur lutte pour la liberté ; dans le deuxième cas, par exemple, les Juifs parce que... « comme les Juifs ».
"On voit que la communauté peut-être la meilleure ou la pire des choses. A petite échelle, elle est souvent fraternité. Plus grande, elle peut être exclusion.
"Tandis que, comparativement, la société est une organisation sociale qui dépasse la simple personne. On entre, avec elle, dans la notion des rapports contractuels, de l’échange et de la réciprocité, et de la responsabilité partagée.
"Vous devinez ou va ma préférence entre communauté et société...
"Le problème est que, aujourd’hui, ces notions sont dévoyées pour une justification d’exclusion. Certaines expressions publiques sur l’Étranger me glacent : celles sur les racines, le terroir, l’appartenance, la préférence nationale, qui sont exprimées – il ne faut pas manquer de souffle ! - au nom de la protection des personnes, du libre-choix et même de la laïcité.
"Montesquieu avait pourtant exprimé les limites : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je le rejetterais de mon esprit… si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime ».
"Aussi, ne nous enfermons pas dans la clôture du sentiment d’appartenance communautaire. Après le 8 mai 1945, il y eut heureusement le traité de Rome, des hommes comme Charles De Gaulle et Konrad Adenauer, François Mitterrand et Helmut Kohl, immortalisés dans des symboliques fortes, une poignée de mains ou une posture fraternelle.
"Souvenons-nous, puisque tel est l’objet de notre rassemblement, que, au contraire de ces actes significatifs et positifs, l’idéologie sécuritaire n’est pas la sécurité : elle consiste à éliminer totalement l’Étranger du sentiment même d’appartenance à un ensemble ; un ensemble qui n’est pas un conglomérat de « moi », mais un « nous » intégratif. « L’entre soi » conduit irrémédiablement au « contre eux ».
"Je sais et je m’efforce de comprendre : beaucoup de nos concitoyens, souvent les plus modestes, se sentent menacés, dans leur vie quotidienne, dans leur logement, dans leur travail ou par l’absence de travail. Ils adhèrent aux idées d’exclusion, car eux-mêmes se sentent exclus. Exclus économiques, exclus de la discussion publique, exclus de la société de consommation.
"Il faut dire que l’on marche sur la tête. Vous avez comme moi constaté que la rémunération de tel grand patron est parfois 500 fois plus élevée que le salaire minimum. Comment un homme peut-il en valoir 500 ? Les responsabilités, certes ne sont pas les mêmes, mais valent-elles un tel écart ? Irrationnel !
"Et ce que nous devons combattre, c’est l’irrationalité. Celle de ces rémunérations insensées qui, de fait, pour exister, excluent le plus grand nombre, et celle de nos compatriotes qui se laissent séduire par des raisonnements xénophobes simplistes. Il faut leur faire comprendre que chasser l’Étranger ne fera pas disparaître le mal, puisque le mal est ailleurs, dans l’économie, dans l’organisation sociale, dans la répartition des richesses.
"La question n’est pas nouvelle. Dans les années soixante, Fernand Raynaud la mettait en scène : l’Étranger, accusé de manger le pain des Français, quitta de guerre lasse le village où il travaillait, lequel village se trouva sans pain, parce que l’étranger, c’était... le boulanger.
"La tentation « bouc-émissaire » de l’Étranger permet sans doute de récupérer à vil prix une identité collective. Les anciens de 39-45 savent ce qu’il en coûte. Pour la première fois dans une guerre, la ligne entre le bien et le mal n’est pas poreuse : le bien, les Alliés ; le mal, les puissances de l’Axe.
"Ils rappelleraient que, au contraire des Résistants, les collabos ont préféré perdre et avec leurs haines (celles des Juifs, des francs-maçons, des tziganes ou des homos) et avec leurs adversaires (les réfractaires, les gaullistes, les communistes) plutôt que gagner avec eux.
"S’il faut tirer une leçon, c’est que l’on ne gagne rien à diviser.
"Ce à quoi il faut réfléchir aujourd’hui, c’est à vivre ensemble, à l’échelle du quartier, du pays, de l’Europe, et demain de la planète.
"Ça semble être une utopie, quelque chose qui paraît lointain, il faudra du temps… C’est bien pourquoi il ne faut plus perdre une seconde !
"Les moments de commémoration tels que celui que nous vivons aujourd’hui constituent des jalons essentiels pour nous guider sur cette longue route.
"Alors, en route, pour que vive la France républicaine !
"Pour que vivent l’Europe et l’Euroméditerranée de l’amitié entre les peuples !
"Et pour que vive la Paix !"