29 avril 2019 1 29 /04 /avril /2019 04:32

 

Presque trois-quarts de siècle après le printemps 1945 où les camps nazis ont été libérés, il est plus que jamais utile, dans un Monde où les relents de nationalisme exacerbé refont surface année après année, de rappeler comment des hommes, pourtant régulièrement élus par leurs semblables, peuvent, une fois parvenus au pouvoir, commettre d'abominables actes d'indicible souffrance et de mort envers leurs semblables.

 

C'est ce à quoi nous nous employons, devant notre Monument aux Morts, tous les derniers dimanches d'avril, en souvenir des déportés de l'Allemagne nazie, associant dans notre mémoire les victimes, parfois bien plus récentes, de tous les génocides.

 

Voici le propos que j'y ai tenu cette année, après les lectures de deux beaux textes poignants par Jacqueline Bonifay (ci-contre en photo à mes côtés), elle-même rescapée de la barbarie nazie, présidente de l'Association nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, et par deux jeunes lycéens de Paul-Langevin (photo ci-dessous)...

 

 

« Une fois encore nous nous retrouvons à l’occasion du 74ème anniversaire de la libération des camps de déportation pour ne pas oublier que l’impensable est toujours possible.

 

« C'est une fois encore une nécessité, car il faut bien le constater, la volonté d’écarter l’horreur de l’action collective des hommes se dissout peu à peu dans l’indifférence, l’oubli, les préoccupations du moment.

 

« Ce mois-ci, nous célébrons également le 104ème anniversaire du génocide arménien mais aussi le 25ème anniversaire du génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda, cinquante années après les camps nazis d’extermination et la promesse que jamais plus les hommes céderaient à l’abomination.

 

« Oui, malheureusement, tout peut arriver dans un enchaînement de discriminations, de violences, de pusillanimité, d’indifférences, de calculs, de peurs projetées.

 

« L’Histoire enseigne – mais retenons-nous les leçons ?... – que ces génocidaires de tous les temps, comme le loup du conte, ont montré patte blanche pour s’imposer, y compris à nos démocraties.

 

« Et, en effet, ils ont été élus, souvent par le jeu de rejets multiples et hors de propos ou par une indifférence inconséquente des gens de tous les jours, de la vraie vie, dit-on, ceux qui ressassent : “Qu’a-t-on fait pour moi ?”“Tous des vendus !”“Rien à foutre !”. L’indifférent est souvent injuste et se laisse aller à la vulgarité.

 

« C’est ainsi que Hitler et les nazis arrivèrent au pouvoir, parce qu’un peuple, enivré de se voir dans le miroir déformant de la pureté de la race, de la dégénérescence des métèques, du besoin d’ordre et de discipline, s’est laissé abuser et s’est volontairement livré à l’absolutisme.

 

« J’entends, parfois, “pourquoi ressasser ces choses horribles du passé ? Tournons la page, préoccupons-nous de l’avenir !”

 

« Bien sûr ! C’est l’avenir qui compte : Leibniz disait “Le présent est gros de l’avenir” – çà, nos petits enfants qui constatent la souillure des terres et des océans, sont en droit de nous reprocher de ne pas y avoir pensé ces dernières années ! -. Cependant, Leibniz ajoutait que “le futur se pourrait lire dans le passé”. Il est donc bien utile de le connaître, ce passé…

 

« J’ai été  mortifié d’un récent sondage : deux Français sur dix ignorent que le génocide des Juifs a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale ; 4% le situent avant la Première guerre, 6% pendant la guerre de 14/18, 9% dans l’entre-deux-guerres, et 2% pendant la guerre froide.

 

« Convenez qu’il est préoccupant d’entendre rejeter les commémorations annuelles sous l’argument d’un supposé passéisme alors même que la plupart de ces contempteurs ignorent les faits. 

 

« La logique autoritaire appelle de multiples justifications. La guerre en est une. Avec la guerre, le système concentrationnaire nazi prend une autre dimension et, à partir de 1941, il s’intègre dans la mise en place de l'Endlösung der Judenfrage, c'est-à-dire la “solution finale de la question juive”. Les camps se multiplient en Autriche, en Pologne, en France avec celui de Struthof en Alsace. Ils feront plus de 6 millions de victimes, Juifs, Résistants, Tziganes, handicapés, homosexuels, politiques, notamment communistes.

 

« La déportation, les camps d’internement, de travail, de mort, resteront à jamais comme une des pires dérives commises par les hommes contre l’humanité.

 

« Le nationalisme est destructeur.

 

« Je vous disais l’an passé, entre autres choses, que nous sommes rassemblés parce que ce qui importe à de trop nombreuses personnes est ce qui nous différencie, et que, notre société, devenue plus indifférente, plus égoïste, nous inquiète.

 

« Je sais que rien ne se répète jamais à l’identique.

 

« Pourtant, beaucoup font des parallèles avec la fin des années 30. Elles voient, après la chute du Front Populaire, advenir des gouvernances en faiblesse démocratique.

 

« En 1938, les démocraties enchaînent les renoncements. En France, le Parlement vote les pleins pouvoirs à Daladier parce que... “sous l’œil d’Hitler”, il faut être fort ! Si fort que l’on va céder l’essentiel avec les accords de Munich. Le même Daladier, de retour de Bavière, à la descente de son avion au Bourget, conscient d’avoir lâchement trahi la parole de la France sur l’annexion des Sudètes, est surpris de se faire acclamer par la foule soulagée. Il s’exclamera, mais pas trop fort : “Ah les cons, s’ils savaient !”.

 

« Mais comment pouvaient-ils savoir ? L’opinion d’alors était chauffée à blanc par une campagne abjecte. On appelait à la constitution d’un gouvernement technique, composé d’experts, seul à même de soi-disant préserver l’identité nationale. On voit combien se répand l’influence nauséabonde du journal Je suis partout. Son seul projet est la dénonciation des Juifs.

 

« En Allemagne, c’est la “nuit de cristal”.

 

« En France, on prend des mesures contre les étrangers : assignation, centre d’internement, criminalisation de l’entraide (oui, déjà, l’entraide est réprimée), déchéance de la nationalité.

 

« A l’issue de la grande grève du 30 novembre 1938, “Le Temps”, journal du patronat, écrira“Il n’y a plus ni droite ni gauche”, entendez : seuls restent les adeptes du Travail et de l’Ordre public.

 

« Les tenants de la droite extrême d'alors se désignent sous le vocable de “nationaux”, en soi, un programme, ils mènent une guerre civile contre une partie de la population française au lieu de se confronter au fascisme qui monte à leur porte… J’arrête là ce rappel qui résonne étrangement.

 

« Qu’est-ce que j’essaie de vous dire ? Gardons-nous, tous, de stigmatiser qui que ce soit. Gardons-nous de convertir la question sociale en angoisse identitaire. Gardons-nous de brandir la nation comme un bâton à chasser des intrus, ces personnes jetées sur le chemin de l’exil. Gardons-nous d’un monde où tout ce qui n’est pas obligatoire est interdit !

 

« Partout, aujourd’hui, reviennent les indifférences barbares, les attitudes racistes, l’antisémitisme, le rejet de l’autre. Heureusement, ces attitudes sont pour l'instant minoritaires.

 

« Observons, pour nous en garder, la montée du nationalisme xénophobe façon Orbàn, Erdogan ou Trump. Gardons-nous de favoriser une opposition “populisme versus progressisme” qui, alors, versera immanquablement vers la logique identitaire.

 

« Faire ou dire du mal de quelqu’un pour ce qu’il représente indépendamment de lui-même, au nom d’une idéologie, est une barbarie.

 

« Ne baissons pas les bras et contribuons à informer nos concitoyens, rejetons la tentation des communautarismes où les identités se consolident les unes contre les autres.

 

« Et pour conclure cette célébration contre l’oubli, je le répète : soucions-nous du présent !

 

« Vive l’Europe et le Monde des peuples amis ! Vive la France de la République ! »

 

 

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Publié par Marc Vuillemot - dans Devoir de mémoire