
Les malpolis parleraient de « foutage de gueule » après la lettre adressée aux Français par le Président de la République. Je pencherais plutôt, soit pour un inquiétant amateurisme, soit pour une tactique digne des plus habiles stratèges malveillants conçue pour « mettre de l'huile sur le feu » et dévoyer les récriminations vers... les maires. Qui ne sont pour rien – au contraire – dans la souffrance de tant de nos concitoyens en déshérence.
Un peu moins d'un quart des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle de 2017, soit ceux de 8.656.346 électeurs, se sont portés sur le projet du Président de la République. Ces huit millions et demi de nos concitoyens, représentent, si l'on considère dans le décompte nos résidents qui ne sont pas électeurs, environ un sur neuf des habitants de notre nation. Les deux tiers des électeurs, dont moi-même, qui ont voté pour Emmanuel Macron au second tour l'ont, pour la plupart, juste fait (j'ai envie de dire... « comme d'hab' ») pour barrer la route à l'extrême-droite.
Dès lors, la lettre du Président de la République appelant à un « grand débat national » doit être pesée à l'aune de cette réalité mathématique.
DÉBATTEZ, DÉBATTEZ, ÇA NE CHANGERA RIEN
Ainsi, par exemple, l'annonce du candidat Emmanuel Macron selon laquelle « l'ISF [impôt de solidarité sur la fortune] sera supprimé et remplacé par un impôt sur la fortune immobilière », mise en œuvre sans tarder après son élection, ne répond qu'au vœu d'une toute petite minorité des Français.
Pour beaucoup, au regard du risque de voir une majorité d'électeurs « essayer » le pire pour la république et la démocratie, ayant en sinistre souvenir ce qui s'est passé en Europe dans les années 1920-1930 (visionnez, si votre mémoire a flanché, les films de Jérôme Prieur diffusés ce mardi soir sur ARTE et proposés en avant-première par le site du journal Libération), entre avènement des idées du funeste FN (devenu RN) et suppression de l'ISF, il n'y avait pas photo quant à l'urgence et la nécessité. Ça ne signifiait pas pour autant que ses électeurs du deuxième tour délivraient un blanc-seing à Emmanuel Macron. Entre autres pour son choix de ne plus imposer la fortune financière, fragilisant la solidarité nationale.
Or, dans sa lettre, faisant fi du fait que ce n'est une minorité de Français qui a approuvé son projet il y un peu moins de deux ans, Emmanuel Macron est on ne peut plus clair sur son refus de mettre en débat l'éventuel retour sur la suppression de l'ISF, option qui pourrait aider à une redistribution des richesses pour répondre aux besoins des plus pauvres : « Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises (...) afin d'encourager l'investissement ».
Moi, je traduis ça en : « Débattez, chers Français, ça vous occupera, moi, quoi que vous formuliez comme suggestion ou exigence, je continue ma route au service du capital et je ne changerai rien. »
Le débat est verrouillé avant même de se dérouler. Car comment fait-on si, dans le « grand débat national », plus de 8.656.346 Français réclament la restauration de l'impôt sur la fortune ?
Cet exemple, parmi d'autres que j'ai relevés et pourrais décliner, atteste du caractère, sinon fallacieux, du moins extrêmement dangereux de la démarche. Et ça l'est d'autant plus pour au moins deux autres raisons...
DÉMOCRATIE, OUI, MAIS PAS POUR FAIRE ENDOSSER AUX MAIRES LES RESPONSABILITÉS DE L'ÉTAT
La première réside dans la réintroduction de la question de l'immigration, certes comme sujet annexe à l'une des quatre thématiques, celle sur la citoyenneté, mais néanmoins clairement exprimée comme sujet de débat, alors même qu'elle avait été mise sous le tapis il y a un mois, par la voix du Premier Ministre devant l'Assemblée Nationale, et que le Président ne peut ignorer combien, surtout en période de crise, elle est clivante et dangereuse pour la cohésion nationale.
La seconde réside dans une phrase du courrier présidentiel : « Les maires auront un rôle essentiel car ils sont vos élus et donc l'intermédiaire légitime de l'expression des citoyens ».
J'ai envie de répondre à Emmanuel Macron : « Non, Monsieur le président, si nous sommes attachés à la démocratie participative, et, souvent, comme à La Seyne, nous le prouvons en actes, nous ne sommes pas le relais de la voix du peuple de nos communes. Comme nous vous l'avons exprimé unanimement avec mes collègues des onze communes de notre métropole du "Grand Toulon", nous ne sommes pas opposés à faciliter le dialogue entre les citoyens et l'État en aidant à la logistique qui sera nécessaire aux échanges, mais sous réserve que nos concitoyens trouvent en face d'eux un représentant de l'État, qu'il soit un préfet (ou un de ses délégués) ou un représentant de votre majorité parlementaire, notamment dans les territoires qui ont élu un député de la majorité actuelle. »
En clair, si nombre d'entre nous, les maires, dont moi-même à La Seyne, aidons à l'expression des avis et réclamations en attribuant par exemple des locaux pour installer les « cahiers de doléances », nous rappelons que nous sommes des chats échaudés, déjà cibles des propos méprisants proférés, plusieurs mois durant, à notre endroit par les plus hauts représentants de l'État, et que n'avons nullement l'intention d'être les réceptacles de récriminations populaires sur des choix politiques nationaux qui ne relèvent pas de nos compétences territoriales, que nous les approuvions ou pas.
Au contraire, soucieux de préserver les valeurs républicaines que les collectivités locales s'emploient depuis toujours à faire vivre, nous serons auprès des concitoyens de nos communes, face aux fameux « médiateurs de l'État » que vous vous apprêtez à désigner pour le « grand débat », afin de contrecarrer toutes tentatives de déstabilisation de l'unité nationale qui, en suggérant dans votre lettre, parmi vos pistes de discussion, d'aborder la question de la « [suppression de] certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité », visent à fragiliser les offres égalitaires et solidaires que la France doit à ses enfants.
Ça ne peut ni ne doit fonctionner comme ça.