J'évoque rarement dans mon blog les enjeux de politique autre que municipale. Certains Seynois, d'ailleurs, me disent que la gestion communale ne leur paraît pas être une question d'appartenance partisane. Ça ne me semble pas aussi simple que ça : il faut bien que les choix de ceux qui exercent des responsabilités territoriales soient guidés par des orientations de société.
Ainsi, plusieurs de mes concitoyens, pas forcément de ma sensibilité, m'ont dit qu'ils peinent à comprendre pourquoi j'ai quitté le Parti socialiste à l'automne dernier. Je leur dois une explication.
Ma culture politique s'est forgée dans ma jeunesse dans notre ville alors ouvrière, très attachée à compenser les inégalités résultant des différences sociales et économiques, dans le militantisme associatif, notamment celui de l'éducation populaire, et dans un engagement professionnel de trois décennies auprès de jeunes dont le contexte de vie justifiait qu'ils aient besoin, plus que d'autres, d'être accompagnés pour tirer le meilleur profit de l'enseignement. J'y ai appris par l'action que le libéralisme ne cesse d'aggraver les injustices, mais qu'elles peuvent être corrigées, pour peu que l'on s'attache à construire des consciences d'êtres libres, responsables, lucides quant aux déterminismes de la société, et capables d'agir sur eux dans le sens d'un monde plus humain. Et que j'avais ma part à prendre dans ce mouvement-là.
LONGTEMPS, LE PS A PU PORTER UN ESPOIR DE JUSTICE ET DE LIBERTÉ
De l'Union des étudiants communistes où mes amitiés de jeune Seynois m'avaient naturellement conduit, j'ai évolué vers le Parti socialiste unifié (PSU), alors promoteur d'une société autogestionnaire, puis, à sa dissolution, je me suis retrouvé dans les courants du Parti socialiste plus "rupteurs" que ceux de la majorité plutôt social-démocrate qui promouvait un accompagnement social du libéralisme. J'ai toutefois toujours considéré que le changement ne pouvait aboutir que par des accommodements entre l'ensemble des courants de la gauche. Le PS m'a longtemps permis d'apporter ma petite pierre à l'édifice de cette construction coopérative partagée pour avancer vers « un monde meilleur ».
Des années se sont écoulées dans ce contexte politique. Puis j'ai assisté à des renoncements. J'en comprends et en excuse mieux certains aujourd'hui, à l'aune des compromis que l'obligation de pragmatisme et les contraintes exogènes à la gestion communale que j'anime m'ont moi-même appelé à accepter. Mais trop, c'est trop.
D'ABANDONS EN ABDICATIONS DE NOS VALEURS DÉMOCRATIQUES ET HUMANISTES
Le fait déclencheur de mes doutes sur l'évolution de la majorité de mes camarades socialistes a été la suite réservée au vote des Français en 2005, qui avaient rejeté à 55 % le traité constitutionnel européen. Alors qu'on pouvait s'attendre à ce que la gauche française, revenue aux affaires en 2012, pèse sur l'Europe, dont seulement 16 des 28 pays ont ratifié le traité, pour obtenir un retour en arrière, j'ai assisté, un peu abasourdi, à une totale capitulation.
Et les abandons et abdications se sont succédé, à l'instar de « loi El Khomri » (2016), accroissant le démantèlement du droit du travail déjà mis mal par la « loi Macron » (2015), et qui fut imposée à la ministre par celui qui, alors ministre de l'Économie, est aujourd'hui Président de la République.
Les départs successifs de beaucoup de socialistes, ne retrouvant plus dans leur parti les fondamentaux qui ont porté leurs espoirs égalitaires, depuis les proches de Chevènement dès 1993 jusqu'à ceux de Mélenchon en 2008, de Larrouturou en 2013, de Hamon en 2017, ou de Batho en 2018, ont les uns après les autres affaibli la capacité des socialistes à être eux-mêmes rassemblés pour promouvoir un projet apte à réunir toutes les forces progressistes susceptibles de répondre aux besoins de justice, de liberté, et de réponses aux enjeux de sauvegarde de la planète.
UN ÉTRANGE ATTELAGE À L'OCCASION DES PROCHAINES EUROPÉENNES
J'y ai cru longtemps. Plus de trente ans. Ma décision de poursuivre ailleurs mon engagement fut prise à l'issue du dernier Congrès du PS, à Aubervilliers. Pour une (rare) fois en accord avec Cambadélis, j'ai fait le constat que « le parti d'Épinay », rassemblement riche de ses diversités, et capable de réunir au-delà de ses propres limites, « était mort, et bien mort ». Non sans tristesse, j'en suis parti.
Et je pense avoir bien fait. Surtout aujourd'hui après les tout récents choix des instances dirigeantes du PS. J'ai en effet de la peine à imaginer que mes camarades et amis restés au Parti socialiste, dont plusieurs de mes collègues élus communaux qui conservent évidemment ma totale confiance, vont devoir soutenir, pour l'élection européenne de mai prochain, une liste conduite par Glucksmann, une personne dont l'histoire politique a connu des épisodes pour le moins déroutants pour les progressistes.
Alors étudiant, au début des années 2000, il fut membre du groupe néo-conservateur du Cercle de l'Oratoire, puis il s'impliqua en 2007, comme adhérent d'Alternative libérale, un parti qui portait bien son nom, dans la campagne présidentielle de Madelin, ancien du mouvement d'extrême-droite Occident, avant de se flatter de servir d'intermédiaire entre Sarkozy et le président géorgien Saakachvili pour le moins contestable en matière de libertés publiques, puis, expliquant s'être déplacé à gauche « par dépit », après avoir déclaré en 2014 que ça ne l'a « jamais fait vibrer de manifester pour les retraites », il finit par indiquer l'an dernier « être fier de l'élection d'Emmanuel Macron ».
Même si – et c'est heureux – tout un chacun est susceptible d'évoluer, en a le désir et les potentialités, et si, je veux le croire, Glucksmann l'a sûrement fait, c'est une étrange image que son passé donne de celui qui est désormais le porte-drapeau du PS de 2019. Or, on le sait, on ne gomme jamais son passé. Même Mitterrand, politique madré, n'y est pas parvenu.
Voilà. Je pense qu'on comprendra désormais mieux ce qui a guidé ma réflexion depuis quelques années et la nouvelle orientation que j'ai dû donner à mon engagement depuis l'automne.
Mais c'est vrai que je suis naturellement passionné par La Seyne, ville où j'ai toujours vécu, et que, souvent, c'est elle, plus qu'un dogme ou une doctrine, qui m'inspire. Au fond, ceux qui disent que la politique locale, ce n'est pas de la « vraie politique», ont aussi un peu raison, car le changement de cap de mon ancien parti, qui m'a conduit à m'embarquer sur un autre navire, ne change rien à ma détermination à agir pour La Seyne et les Seynois.