Nous étions plusieurs milliers, ce samedi matin, sur le Parc de la Navale. Autour de Chrystelle Di Marco, chanteuse lyrique qui, dans un silence impressionnant d'émotion, a entonné la "Vocalise" de Sergueï Rachmaninov, avant que des milliers de Seynois et amis n'entament "La Marseillaise", et après le propos que ma fonction de maire m'a donné de prononcer. Un propos que chacun des milliers de Seynois et d'amis et voisins présents aurait pu livrer à ma place, tant on a senti, en ce jour funeste d'horreur autant que porteur d'espoirs, que les républicains de chez nous ont su faire bloc face à la barbarie...
"Des morts et des blessés. Horreur, abomination, carnage, inhumanité. Des morts parce qu'ils exerçaient la liberté de la presse, ou parce qu'ils étaient juifs, ou parce qu'ils faisaient leur travail de protection… Des sacrifiés en cette aube d’année, en ce début de siècle, de XXIe siècle…
"C’est ce qui se passe quand on fait l’économie de l’intelligence, de la solidarité, de l’éducation. C’est ce qui arrive quand on passe de la vie de société à l’esprit de meute et de secte, ou quand, à la culture, on préfère la barbarie et l’ignorance.
"Rien, jamais, ne justifie le meurtre. Et rien, rien, jamais, ne pourra le justifier.
"Ces hommes et ces femmes assassinés, c’est un pays entier qu'on assassine, c’est son histoire et ses Lumières qu’on piétine, c’est son identité qu’on efface, c’est la Liberté qu’on égorge ! C’est nous tous qui mourrons un peu.
"Ce qui vient de se passer, c'est la tentative de meurtre de la liberté de penser et d'exprimer, de l'humanité, de l'humour, du propre de l'Homme.
"Aujourd’hui, notre rassemblement, comme tous les autres, est la promesse, au nom de la République, en hommage à ces victimes innocentes, pour l’honneur de la France et pour tous ses citoyens, que, en tant qu’hommes, que femmes, en tant que parents, jusqu’à notre dernier souffle, nous nous battrons pour la Liberté, l’Égalité et la Fraternité !
"Ça veut dire que, demain, on commence à travailler ensemble, vraiment, ça veut dire que, demain, on ne peut plus tolérer aucune discrimination, ça veut dire qu’on doit éduquer, qu'on doit réapprendre à vivre avec ça en nos têtes, qu'on ne doit plus laisser faire.
"Nous sommes ici contre la haine, contre le fanatisme, contre la barbarie. Nous sommes ici pour protéger la vie, pour garantir la dignité des hommes, des femmes et des enfants, pour montrer qu’une démocratie laïque et solidaire, ce n’est pas ça.
"Parce que ce n'est pas ça, la France ! Et le XXIe siècle, ça ne peut pas être ça !
"Nous avons, par signe de deuil, supprimé ou reporté nos cérémonies de vœux mais décidé d'appeler à ce rassemblement.
"Et si, partout en France, et dans le monde entier, des rassemblements ont et auront lieu, notamment demain dimanche, nous y serons. Partout, chaque fois. Debout.
"L'athée que je suis veut dire un mot pour ceux qui ont choisi de croire, les chrétiens, les bouddhistes, les juifs, les musulmans, les autres... Voilà, ils sont ici, et on les aime, et on les plaint aussi beaucoup sans doute, et on les soutient, parce qu'on a osé assassiner au nom volé de leur foi, et parce qu'en trainant des hommes dans le sang, on traine aussi dans le sang et la boue ces croyances dont les fondements sont pourtant de douces et belles manifestations d'humanité.
"Nous entendrons dans un instant une voix... Une chanteuse, merci à elle... C'est une voix nue, simplement et magnifiquement humaine.
"On a voulu nous voler notre humanité. C'est raté ! Nous l'avons reprise, dans l'instant. Comme a dit la fille de Wolinski : "Papa est mort. Pas Wolinski". Oui, notre humanité est encore plus forte ces jours-ci.
"Oui, je suis, tu es, elle est, nous sommes Charlie ! Nous sommes ces journalistes tués de par le monde par des fanatiques, nous sommes ces clients d'un magasin casher, nous sommes ces gardiens de la paix assurant la tranquillité que la nation républicaine doit à ses enfants, et nous sommes aussi ces musulmans d'ici et d'ailleurs, inquiets des invectives menaçantes de ceux qui tombent dans le piège de l'amalgame vicieux tendu par les barbares.
"Nous ne faisons pas que le croire, car maintenant, plus qu'avant, si nous l'avions oublié, nous le savons : à vivre les bras ballants, on finit par se laisser couler.
"Alors, c’est les bras levés que nous allons observer une minute de silence, à la mémoire des victimes, pour la Liberté qu’elles défendaient et que nous défendons.
"C’est une forêt de bras que je nous demanderai de montrer. Nous sommes, ensemble, unis, une forêt de solidarité laïque.
"Nous sommes unis, soudés pour notre liberté de conscience, notre liberté de pensée. Nous sommes unis comme autant de sentinelles de notre République, comme autant de gardiens de la dignité humaine.
"Nous sommes unis avec le monde entier, ici, aujourd’hui et encore demain, lors de la journée de rassemblement national à laquelle nous serons encore présents. Et après. Nous ne laisserons plus la place vide et nous n’oublierons jamais.
"Après une minute de silence, nous formerons un cortège qui ralliera la Bourse du Travail où nous nous pourrons nous retrouver un peu dans l'échange convivial avant de nous séparer.
"Pour tous ceux qui ont perdu la vie pour la défense des libertés, partout dans le monde et en France aujourd’hui, pour que, demain et après-demain, nous ne négligions plus l'éducation, la culture, le vivre-ensemble dans le respect laïque des différences, toutes ces choses qui élèvent les consciences et préviennent les abominations cruelles, nous allons maintenant observer cette minute de silence."
J'ai chipé la photo qui illustre cet article à Var-matin, sur son site Internet. Si ça craint, comme disent nos jeunes, que nos amis journalistes me le disent ; je la retirerai. En attendant, merci - et courage - à eux !
Et j'ai "prélevé" la biographie de Chrystelle Di Marco sur le site du festival "Festi'classiques" de Cognac ; là aussi, je peux naturellement la retirer si besoin.
Je précise enfin que les t-shirts noirs "Je suis Charlie" que portent certaines personnes sur la photo illustrant l'article ont été réalisés par l'association Co'op de La Seyne, et vendus en vue de faire un don pour le magazine Charlie Hebdo.