Partout ailleurs qu'à La Seyne, qu'ils soient de droite ou de gauche, les maires sont préoccupés par l'impact de l'inflation sur leur capacité à maintenir une tarification sociale permettant à tous les écoliers, quelle que soit la situation socio-économique de leurs familles, de profiter d'une offre de restauration scolaire. Et, pour y parvenir, ils se battent pour obtenir de l'État qu'il les aide, car c'est son rôle au nom des valeurs d'égalité et de fraternité qu'il doit promouvoir et garantir.
À La Seyne, on ne s'embarrasse pas de solliciter cette solidarité nationale : on augmente les tarifs. La décision est prise : les familles les plus pauvres paieront 25% plus cher le repas de leurs enfants à la cantine...
LA CANTINE À 1 EURO, UN OBJECTIF DE RAISON
Pourtant, c'est de notoriété publique, « manger à la cantine, c'est pour un enfant la garantie d'avoir accès à un repas complet et équilibré qui aide à leur concentration sur les apprentissages. C'est aussi un moment important de convivialité, de lien social. Pour une famille, pouvoir payer la cantine à un tarif adapté à ses revenus, c'est un moyen de préserver son pouvoir d'achat face à l'inflation. Or aujourd'hui, les élèves issus de familles modestes sont deux fois moins nombreux à manger à la cantine que les élèves issus des familles les plus favorisées. »
Ce propos n'est pas de moi. C'est une réponse du ministre des Solidarités à une sénatrice communiste. Si même un ministre issu de la droite le dit, c'est que le sujet est préoccupant. C'est d'ailleurs pourquoi le gouvernement, qui ne brille pourtant pas par sa politique sociale, a instauré une aide de 3 euros par repas qu'il propose à plus du tiers des communes françaises pour leur permettre d'offrir aux plus modestes un repas de midi qui, du coup, ne leur coûte que... 1 euro.
UNE AUGMENTATION DE +25% DU TARIF SOLIDAIRE DES CANTINES
La Seyne n'est pas éligible à cette aide qui ne concerne que les 12.000 villages et bourgs de moins de 10.000 habitants qui perçoivent la "dotation de solidarité rurale". Mais, jusqu'à présent, et depuis plus d'une décennie, La Seyne a consenti sur ses ressources propres un effort qui rapprochait le plus bas tarif de l'objectif national du repas à 1 euro. Les plus aidés payaient 1,20 euro par repas, ce qui était déjà beaucoup trop comparé à d'autres communes... et d'ailleurs je m'en veux car, étant maire en 2010 lors de la fixation des tarifs encore en vigueur cette année scolaire, je dois assumer la responsabilité de cette participation trop élevée (voir tableau en bas d'article).
Mais, qu'à cela ne tienne, au lieu de corriger à la baisse, la maire et sa nouvelle majorité ont décidé que ce tarif serait en deux temps, d'ici 2024, porté à 1,50 euro, soit 25% d'augmentation, et 50% au-dessus de l'objectif national, au moment même où les familles subissent de plein fouet la crise de la hausse des prix. Et, dans le texte de leur délibération, ces cyniques gens-là n'hésitent pas à se moquer du monde, stipulant sans rire que « pour les familles qui ne demandaient pas l'aide à laquelle elles pouvaient prétendre, ces nouveaux tarifs se traduiront par une baisse de leur participation ». Il fallait oser.
CERTAINES VILLES SE BATTENT, LA SEYNE FAIT PAYER LES USAGERS-CLIENTS
Parmi les moyennes et grandes communes, celles abritant des quartiers populaires urbains vulnérables, pourtant classés "prioritaires" par l'État, où vivent 6 millions de nos concitoyens les plus pauvres, sont anormalement exclues du dispositif d'aide de l'État. La Seyne en fait partie. Mais qu'elle ne soit pas aidée pour assurer pour tous ce service sanitaire, social et éducatif qu'est la restauration scolaire ne semble pas gêner la maire et sa majorité. C'est tellement plus simple de considérer les usagers comme des clients plutôt que plaider auprès de l'État la cause des plus humbles.
D'autres communes consentent des efforts et s'imposent, en période d'inflation galopante, de ne pas toucher aux tarifications. C'est le cas de la plupart de celles, parmi bien d'autres, figurant dans le tableau ci-dessous. Mais elles ne s'en tiennent pas là. De toutes sensibilités politiques, celles qui sont réunies au sein de l'Association des maires Ville & Banlieue de France interpellent le gouvernement pour qu'il prenne en considération les besoins des habitants fragiles. C'est pourquoi elles réclament sans relâche la création, pour les 800 villes ayant des quartiers prioritaires, d'une "dotation de surcharge scolaire" couvrant une partie des charges supplémentaires inhérentes à la scolarité renforcée au titre de l'éducation prioritaire : classes dédoublées, soutien scolaire, aide aux devoirs, activités périscolaires, et... tarification sociale de la restauration scolaire.
RIEN N'EST JAMAIS ACQUIS, SANS CESSE SE MOBILISER POUR SON TERRITOIRE
Cependant, à La Seyne, si l'on sait endosser pour la parade les uniformes de hussards de la garde napoléonienne, on ne pense pas nécessaire de sonner la charge pour exiger de l'État républicain qu'il fasse vivre la solidarité nationale. Sur l'air de "du passé faisons table rase", l'une des premières décisions de 2020 de l'équipe municipale a été de se désengager de l'association transpartisane Ville & Banlieue, sorte de "syndicat des communes de pauvres"... et de se priver ainsi d'un moyen de pression auprès des gouvernements, ayant pourtant permis de remporter quelques succès avec l'obtention d'un accroissement de la "dotation de solidarité urbaine", de renforts de police, des dispositifs "cité éducative" et "vacances apprenantes", du musée virtuel "Micro-folie", d'une "maison de la justice et du droit" au sein d'une "maison des services publics", et de bien d'autres outils de régulation des inégalités urbaines et sociales.
Mais qu'importe. D'autres maires, de gauche comme de droite, continuent à se mobiliser à notre place et pour nous, pendant qu'on défile en costumes d'époque.
La photo illustrant cet article est extraite du site Internet de l'Agence de services et de paiement, structure gouvernementale gérant le dispositif de cantine à 1 euro. je peux la retirer sur demande.