
Même si, m'a-t-il été rapporté, certains participants en uniforme à la commémoration du 74ème anniversaire du 8 mai 1945, jour de la reddition des nazis allemands, prenaient des « selfies »pendant mon traditionnel propos – et je ne leur en veux pas et souhaite simplement qu'il leur soit rappelé quelques règles de bons usages républicains –, la cérémonie de ce mercredi a une nouvelle fois été de belle tenue.
J'ai moi-même commis un faux pas en omettant de remercier publiquement, en entrée de mon propos, les musiciens de la Philharmonique « La Seynoise »et de notre sympathique clique qui ont rehaussé de leurs beaux savoir-faire ce moment solennel. Et je les prie m'en excuser.
Quoi qu'il en soit, plusieurs personnes, à l'issue de la commémoration, m'ont prié de leur adresser le message qu'il m'a été demandé de faire passer lors de mon allocution. Le voilà...

« Quatre-vingts années nous séparent du 1er septembre 1939, jour où l’Allemagne nazie déclenchait par l’invasion de la Pologne l’une des guerres les plus meurtrières de l’histoire de l’humanité.
« Le mois de mai 1940 voyait la débâcle des troupes françaises. Dans la déroute, celles qui le pouvaient s’embarquaient à Dunkerque pour l’Angleterre. Le Maréchal Pétain, Président du Conseil, demandait à l’Allemagne l’arrêt des hostilités et signait un armistice.
« Mais tous les Français n’allaient pas se résigner. Dès le 18 juin, le général De Gaulle lançait depuis Londres un appel radiodiffusé à reprendre la lutte. Des groupes de résistance s’organisèrent dans chaque région. En mai 1943, De Gaulle confiait à Jean Moulin la tête du Conseil National de la Résistance qui coordonnait les différents réseaux. Leur action préparera le terrain aux troupes de libération qui organisèrent en grand secret les deux débarquements, le 6 juin 1944 en Normandie, opération Overlord, et le 15 août en Provence, opération Dragoon.

« L’épilogue, nous le fêtons aujourd’hui en souvenir du 8 mai 1945, jour de la capitulation de l’Allemagne nazie.
« Nous retiendrons que, durant ces longues cinq années d’occupation, beaucoup ont entretenu, par leur courage insensé et souvent leurs vies sacrifiées, la flamme de l’espérance.
« Nous retiendrons que la haine, la xénophobie, le racisme, ont été dénoncés par les Nations assemblées dans une Déclaration Universelle renouvelée des Droits de l’Homme.
« Nous retiendrons que la France, "outragée, brisée, martyrisée, mais libérée, – pour reprendre les mots de De Gaulle parlant en 44 depuis Paris – s’est dotée d’un programme révolutionnaire prônant Les Jours Heureux.
« Lequel programme rétablit, rien de moins, la démocratie, le suffrage universel, et la liberté de la presse – le 21 avril 1944, le droit de vote est accordé aux femmes, elles voteront pour la première fois le 29 avril 1945 pour les élections municipales.

« Nous retiendrons que, par ailleurs, le Conseil National de la Résistance instaura – je cite – "une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie".
« Nous retiendrons qu’il eut le génie de prévoir – je cite encore – "un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence…".
« Toute analogie avec l’actualité des débats est à conjecturer...
« Nous retiendrons également qu’au sortir de la guerre, la France s’est réconciliée avec l’Allemagne.
« Ensemble, ces deux pays se sont alliés avec quatre autres, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, pour créer ce qui deviendra l’Union européenne… Des espérances immenses sont nées avec cette idée d’Europe unie pour la paix.

« Mais aujourd’hui, outre le feuilleton incroyable du brexit, cette Europe de 27+1 n’est plus qu’une zone de libre-échange qui apparaît bien faible face à la mondialisation et aux empires économiques, des USA à la Chine. La déception est grande.
« Pourtant, la désillusion, le recul des peuples, la montée des populismes, ne doivent pas nous décourager.
« Et, plus que jamais, il nous faut être vigilants. Un ouvrage récent montre combien sont nombreuses les similitudes entre la fin des années 30 et les temps d'aujourd’hui.
« L’Histoire ne se répète pas, mais des situations analogues peuvent provoquer les mêmes malheurs.
« Il nous faut persévérer, afin de construire une Europe qui défende les valeurs de liberté, de partage, d’égalité devant la loi, la capacité à subvenir aux besoins essentiels, d’éducation, d’alimentation, de logement, de sécurité, d’accès aux soins, de travail justement rémunéré.

« Nous devons nous référer à un patrimoine d’idée, de civilisation, et de droits, qui sont le fruit de ce qu’il y a de meilleur dans l’histoire démocratique de l’Europe.
« Nous devons jeter les bases d’une véritable citoyenneté européenne qui affirme des droits fondamentaux pour tous. Non seulement des droits politiques et civils, mais également des droits sociaux qui représentent l’expression la plus haute de l’humanisme européen qui fait notre spécificité, et parfois notre faiblesse, mais c’est là notre grandeur.
« De nombreux objectifs et valeurs doivent être partagés par tous, comme le maintien d’un Etat-providence actif et des règles sociales volontaires, sans oublier la solidarité, la lutte contre l’exclusion, l’égalité entre les hommes et les femmes. Rien d'autre que ce que, de De Gaulle aux communistes, nos anciens ont voulu forger en 1943-44.
« Dois-je rappeler l’article 1-bis du Traité de Lisbonne, dont certains savent que je ne pense pas le plus grand bien, mais qui est en vigueur puisqu’il nous fut imposé malgré que le non l’a emporté au referendum de 2005 : "L’Union est fondée sur des valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme, y compris le droit des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes". Fin de citation.

« Faisons donc, dans les faits – dans les faits ! - vivre ce volet de ce traité qui reconnaît la nécessité de se donner les moyens de la cohésion sociale et territoriale, en particulier en améliorant les services publics.
« Ainsi nous ne ferons pas le lit du souverainisme qui choisit, lui, l’isolement, le protectionnisme, le repli sur soi.
« N’ayons pas peur de l’ouverture. Comme Léon Blum, disons que nous voulons "des individus pleinement libres au sein d’une société organisée sur le plan de l’intérêt collectif…" Il ajoutait, et c’est important, "dans une société civilisée, l’individu est libre, mais non souverain. Là-dessus repose le contrat social."
« L’Europe, si imparfaite soit-elle, a fait beaucoup pour l’égalité et la solidarité.
N’oublions pas les progrès réalisés en une génération en Irlande, en Espagne, au Portugal, et même en Grèce avec ce qu’on connaît de ses difficultés, et aussi dans d’autres pays, nouvellement européens, qui critiquent son humanisme mais se gardent bien de la quitter après avoir tant réclamé de l’intégrer tant les progrès pour leur population, leur économie, ont été importants.
« Il est étonnant que cette Europe, si divisée sur tous les points, s’entende si bien à être ferme et unie dans sa négociation du brexit.

« "L’Europe, écrivait Jorge Semprun, résistant, déporté, grand témoin et grand écrivain, L’Europe n’est plus un projet, mais une réalité vivante, organique, en marche", et il reste cette idée de construire l’Europe selon nos vœux : fraternelle, sociale et libérale (entendez libérale en son sens premier : qui libère !), une Europe de la solidarité entre les peuples, contre la guerre et pour la prospérité.
« Aussi les 8 mai, Mesdames et Messieurs, – au-delà de la commémoration de la victoire des Alliés sur les forces de l’Axe – nous voulons célébrer la lutte victorieuse contre des idées monstrueuses de haine et de rejet.
« Il ne nous faut céder ni à la phobie de l’immigration, ni à la paranoïa anti-islam, ni à l’antisémitisme, ni à aucune des intolérances que nous observons et qui gagnent malheureusement les esprits et ne véhiculent jamais le bien, ni en politique ni en morale.
« Nous vivons un retour identitaire, c’est préoccupant. Il y a toujours eu des immigrés en France et leur religion n’est pas le problème : aux Etats-Unis, l’immigration est catholique et... les situations sont les mêmes !
« Les nationalistes spéculent sur le mécontentement. Le peuple, selon leurs avis, voudrait du travail, de la sécurité et de l’ordre... mais pas la liberté car cette dernière serait le chemin du chômage, du désordre. Le peuple serait en désir d’autorité : quelle outrecuidance !

« Croyez-vous que le peuple ait pu oublier que cette autorité-là, précisément, a conduit à valoriser une idée de pureté, à donner sens à l’élimination systématique des soi-disant impurs qu'on a connue sous le nom d'Endlösung – la solution finale ? Un seul d'entre nous est-il l’impur de quelqu’un ? Si oui, qu'il prenne garde, le pire peut advenir.
« Devant vous, anciens combattants, porte-drapeaux, élus, corps constitués, citoyens, devant les jeunes, je rappelle que des hommes et des femmes que rien ne prédisposait à travailler ensemble, issus de partis politiques différents, de convictions religieuses exclusives, de racines sociales, culturelles, philosophiques diverses, parfois adversaires, ont su se rassembler sur des valeurs communes de solidarité, d’entraide, de préservation des libertés.
« Cela s’est appelé la République. La République renaissant d'un État Français totalement soumis au nazisme.
« Ne croyons pas que les idées généreuses qui l’ont portée à l’organisation politique de nos contrées soient définitivement acquises. Au contraire, parce qu’elles se soucient des autres, elles sont fragiles.
« C’est pourquoi, elles doivent encore être promues, enseignées, diffusées, défendues. Ne renonçons jamais à le faire. De toutes nos forces. Ne refusons jamais la parole à ceux qui veulent les nommer et les encourager.
« Vive la France de la République, vive l’Europe et le Monde des peuples amis, vive la Paix ! »
