7 mai 2014 3 07 /05 /mai /2014 18:10

http://www.csjonquiere.qc.ca/fichiers/images/small_lettre_ouverte___1465____phototeque.jpgMaintenant, tout le monde est contre. Pas pour les mêmes raisons, mais, à les entendre, ce mardi soir, lors d'une réunion du comité que j'ai mis en place il y a plusieurs mois pour préparer puis suivre la mise en œuvre de la réforme dite "des rythmes scolaires", les enseignants, les parents, les syndicats, les associations, les personnels territoriaux, il ne s'est pas élevé une seule voix pour plaider en faveur de ce nouveau dispositif scolaire. J'avais pourtant entendu il y a encore quelques semaines les mouvements éducatifs et associations d'éducation populaire, pas mal de professeurs, et au moins la FCPE parmi les associations représentatives de parents d'élèves, dire tout le bien qu'ils pensaient de cette réforme. Et là, plus que des refus ou des silences.

Moi, je suis bien ennuyé. Je défends l'absolue nécessité d'une prise en compte des besoins des enfants. Je ne veux pas me prêter à une instrumentalisation politique du sujet. Je veux être en conformité avec la Loi car, de toute façon, si je ne le suis pas, la justice administrative aura tôt fait de me contraindre à rentrer dans le rang. Mais, comme je le dis depuis le début, il faut que le nouveau système ne démantibule pas l'offre existante d'activités périscolaires socio-éducatives, sportives et culturelles existantes, ni ne génère un coût supplémentaire pour la commune et mes concitoyens.

À l'issue de trois heures de rencontre, j'ai donc adressé un courrier à Benoît Hamon, ministre de l'Éducation nationale...

 

Monsieur le ministre,

Ils étaient plus d’une centaine, en face de moi, ce mardi soir, pendant trois heures, rameutés par mon invitation à une nouvelle phase du dispositif de concertation que j’ai mis en place il y a plus d’un an pour répondre, en mobilisant la communauté éducative dans son ensemble, enseignants, parents, associations, syndicats, à la commande de votre prédécesseur à l’éminente fonction de ministre de l’Éducation nationale, que vous occupez désormais, de traiter de la question des temps de vie des enfants.

Nourrie au lait de 150 années d’anarcho-syndicalisme de la construction navale, La Seyne est rebelle, ça se sait chez nous, et même en haut lieu (notre lutte de 2011 pour conserver notre maternité est dans le souvenir de tous...).

Et, là, rebelle, elle l’est, croyez-moi !

Moi, je leur ai expliqué la règle du jeu. Une énième fois. Il n’y a rien à faire. Ils sont tous vent debout.

Tous !

Que vous compreniez bien : La Seyne, ville la plus pauvre de PACA, où l’impôt local est le plus élevé du Var, a fait ses comptes. L’organisation d’activités périscolaires pendant une heure en fin d’après-midi, c’est, dans tous les cas, un surcoût pour la commune de 600.000 à 1.200.000 euros (d’1 à 3 points d’impôts) selon le nombre d’enfants dont les familles demanderont qu’ils en bénéficient (hypothèse basse : 3500 des 6200 écoliers de la ville - hypothèse haute : 6000 des 6200 écoliers de la ville). Et la cinquième « matinée Peillon » en classe, si je la place le mercredi, c’est de plus 550.000 autres euros à supporter (environ un autre point d’impôt) car, contrairement au samedi, elle impose a minima l’organisation d’un service de restauration scolaire et d’une garderie du matin comme il en existe déjà pour les actuels jours d’école.

C’est pourquoi j’ai annoncé que, sauf à saigner un peu plus mes concitoyens, seule la classe le samedi pouvait être compatible avec l’exercice d’équilibriste pour le budget communal que me contraint de faire cette réforme, imposée de surcroît au moment où notre Premier ministre nous annonce que les collectivités participeront à l’effort de réduction du déficit public à hauteur de 11 milliards d’euros, ce qui se traduit pour La Seyne, dès 2014, par un million d’euros de perte de la dotation globale de fonctionnement, et je vous laisse imaginer les trois années à venir...

Donc, j’ai expliqué que, m’étant engagé pendant la campagne électorale à contenir la pression fiscale, seul le retour du samedi comme journée de classe, mois coûteux car n’obligeant pas à assurer la restauration scolaire, constituerait une solution d’un coût acceptable pour mes finances communales et le porte-monnaie de mes contribuables.

Horreur ! Levée de boucliers tous azimuts !

Il y a les profs, vous savez leur position, ils vous l’ont exprimée au travers de leurs organisations syndicales, tant lors de la réunion récente du Comité technique ministériel que lors de celle du Conseil supérieur de l’éducation. Ceux de ma commune ne dérogent pas. Ils sont courtois et respectueux, mais les choses sont claires : pour eux, Jules Ferry se retournerait dans sa tombe si, de l’au-delà, il apprenait qu’un maire leur dictait leurs horaires de travail ! La République, la nôtre, est une et indivisible. L’Éducation est une mission régalienne de l’État. Et, moi, prof de mon état, militant syndical que j’ai oublié d’être ce soir-là, je manque d’arguments à leur opposer, tant ce qu’ils avancent est fondé.

Il y a les parents, qui sont de moins en moins investis dans leurs associations reconnues et agréées par votre ministère (FCPE et PEEP, notamment) pour porter la bonne parole collective des besoins généraux de leurs enfants, mais de plus en plus « autonomes » et prompts à se coucher au travers d’une autoroute pour obtenir la mutation d’un prof qu’ils estiment avoir abusivement mal noté leurs progénitures ; vous connaissez comme moi leurs propos : si on rétablit la classe le samedi, ce sera la difficile gestion de leurs enfants dont certains seront écoliers travaillant le samedi et les autres collégiens dans leurs établissements le mercredi, le drame des pères séparés qui ne pourront jouer tout leur rôle pendant le week-end écourté au cours duquel ils ont la garde de leurs petits, la catastrophe des week-ends rognés où la famille ne pourra plus se retrouver dans une belle symbiose affective, l‘épuisement des enfants qui devront se lever tôt six jours sur sept car, de toute façon, ils devront aller chez la grand-mère, ou au centre aéré, ou au club de foot, pour être pris en charge le mercredi car leurs parents travaillent ou cherchent un emploi.

Il y a les acteurs des associations socio-éducatives, sportives, culturelles, qui n’osent exprimer leurs inquiétudes face à un déferlement de rejet de cette réforme qui pourrait bien réduire leurs capacités à mener à bien leurs missions au service de leurs publics, craignant aussi que leurs subventions communales et prestations de services de la CAF ne disparaissent pour financer la mise en œuvre de la réforme.

Il y a les politiciens habiles, qui « surfent » sur le mécontentement de tous. Et je vous prie de croire que, dans le Var bleu, ils ne manquent pas ! Mis à part une dizaine d’abstentionnistes et d’opposés, dont moi-même, les 132 maires du département présents à l’assemblée générale de l’AMF 83 ont voté comme un seul homme une motion imposée par « l’homme fort du Var », le sénateur-maire de Toulon, exigeant le retrait de « LA réforme ». Et ils entraînent « le peuple » dans leur stratégie visant à en découdre avec la majorité nationale.

Et il y a les personnels de la mairie, et leurs organisations syndicales. Les éducateurs sportifs, les profs de mon école municipale des Beaux-Arts ou ceux du conservatoire intercommunal de musique, qui m’expliquent, à juste titre, que ce serait un gâchis, à défaut de pouvoir transporter les enfants à 15h45 vers les équipements sportifs et culturels ad hoc (je ne dispose que de 4 bus pour 6200 écoliers), et sur une durée suffisante d’activité, de balayer d’un revers de main leurs formations, leurs qualifications, leurs expériences, leurs statuts professionnels, pour les utiliser à assurer trois quarts d’heure de « garderie » dans une cour d’école, car on ne peut faire mieux si on ne dispose ni des équipements adaptés et agréés ni de la durée nécessaire à se rendre dans les sites permettant de vivre une activité digne de ce nom. Pareil pour les ATSEM, les personnels de restauration scolaire, les femmes de ménage, les agents des services techniques qui assurent les petits travaux dans les écoles, toutes ces « petites mains » de catégorie C de la fonction publique territoriale qui jouent un rôle méconnu mais majeur pour l’École de la République, et leurs cadres motivés et motivants, qui me disent qu’ils sont effrayés d’un bouleversement de leurs obligations, sans compensation, et dont les syndicats sont prêts à en découdre.

Ma posture, Monsieur le ministre, n’est plus tenable.

Ce mardi soir, j’ai continué à plaider le bien-fondé de la prise en compte des temps des enfants. J’ai rappelé qu’une telle réforme est légitimée par le vote de 52% de nos concitoyens en faveur du candidat Hollande à la Présidence de la République, qui n’a pris personne en traitre et a déclaré avant son élection qu’il « faudra notamment revenir à une année scolaire plus ample et moins dense, c’est-à-dire à des semaines de travail réparties sur 5 jours, mais aussi rendre l’année scolaire moins compacte en l’allongeant d’au moins deux semaines et instaurer un rythme fondé sur l’équilibre de sept semaines de travail/deux semaines de repos », et que le Président ne fait que demander à son gouvernement d’appliquer le choix de son peuple.

Mais le peuple est versatile.

Le fait est là. Je suis seul contre tous à défendre ce qui est devenu indéfendable.

En l’état, cette organisation imposant cinq matinées d’école est impossible à La Seyne, sauf à augmenter de façon significative l’impôt, ou supprimer d’autres services publics communaux, ou créer de l’inégalité d’accès entre enfants des divers quartiers et diverses classes sociales aux activités périscolaires en demandant une participation financière aux familles, ou démantibuler l’offre éducative périscolaire existant sur la commune depuis six à sept décennies, dont bénéficient 2039 enfants, soit le tiers des écoliers de primaire, parmi lesquels plus de la moitié des écoliers d’élémentaire.

Mais je me refuse à opter pour à l’une ou l’autre de ces solutions.

Je me refuse aussi à joindre ma voix à celles de mes collègues varois de droite dont les cris d’orfraie exigeant un retrait du décret ne visent pas à servir les intérêts des enfants mais à préparer le terreau électoral de prochaines échéances.

L’école le samedi est le moins irréalisable. Mais force est de reconnaître que personne n’en veut.

Et je n’ai pas de solution de rechange compatible avec la teneur du décret.

Seul candidat socialiste du Var aux élections municipales de mars ayant eu le courage d’afficher le poing et la rose sur mes documents de campagne, aujourd’hui un des rares derniers maires de gauche de mon département et de ma région où s’ancrent la droite extrême et l’extrême-droite, je veux bien continuer à porter la flamme d’une réforme aux fondements utiles et à servir de punching-ball.

Mais je n’accepterai pas qu’il en coûte à mes concitoyens ni aux personnels de la commune.

Il s’offre désormais à moi quatre solutions...

1. On passe en force avec l’instauration de la classe le samedi, ce qui serait le moindre mal quant à la faisabilité, mais dont personne ne veut. Qui de l’institution de l’Éducation nationale viendra me soutenir ?...

2. On ne touche à rien et je me place hors-la-loi, rejoignant l’immense majorité de mes collègues varois. Ça, je m’y refuse pour l’instant, quand bien même, pressé par le peuple rebelle de La Seyne hostile à cette réforme qui jetterait à la rue des enfants en plein après-midi, qui m’obligerait à accroître la pression fiscale, qui réduirait l’offre périscolaire d’activités, qui mépriserait les personnels communaux, je trouverais sans difficulté de bonnes raisons pour réclamer la mort de la réforme.

3. On applique la réforme en instaurant la classe le mercredi comme c’est maintenant exigé par les désormais très rares membres de la communauté éducative locale qui ne demandent pas le retrait du décret. Dans ce cas, je n’assure pas de restauration scolaire et ne mets en œuvre aucune activité périscolaire génératrice de coût en 2014-2015 car le taux des taxes locales est voté pour 2014. Ce que je peux seulement envisager, c’est le redéploiement, quand c’est possible, de personnels travaillant le mercredi matin et en temps scolaire (80 classes bénéficient chaque année de classes thématiques de mer, de nature, d’art, etc. que je peux supprimer, et je peux réduire au minimum légal le nombre d’ATSEM dans les maternelles). J’ai un peu de mal à imaginer devoir détruire à la fois un riche partenariat avec l’École et une organisation des centres de loisirs, des écoles municipales de sport, d’art et de musique, qui bénéficie aujourd’hui à la moitié des écoliers d’élémentaire.

4. Et il y aurait peut-être une autre solution qui dépend de votre volonté... Il y a en gros 36 semaines d’école. Le poids des 24 heures hebdomadaires de temps d’enseignement est jugé trop lourd par les spécialistes. Dont acte, c’est l’esprit de la réforme. Réduisez à La Seyne les temps de classe à 23 heures par semaine, sans cours les mercredis et samedis, avec des journées de 5 h 45 d’enseignement, et en raccourcissant les vacances d’été d’une semaine et demie pour que les enfants aient leur comptant annuel d’heures d’enseignement. Je saurai proposer un mode de garde dans la sécurité matérielle et affective de 16 heures (ou 16 h 15) à 18 heures aux familles qui en auront besoin et assumer à coût presque constant la mission communale qui m’incombe pour les six jours scolaires de plus en juillet ou en août-septembre. Et l’offre périscolaire sportive, culturelle et socio-éducative sera préservée.

Si un aménagement dérogatoire est permis à l’enseignement privé, j’aurais du mal à comprendre que l’École de la République ne puisse y prétendre dans une ville qui a toujours été à la pointe de l’expérimentation pédagogique depuis 1981 et son classement en site d’éducation prioritaire et de « politique de la ville », ainsi que je vous l’expliquais en détail dans un récent courrier.

Vous avez dit à Mediapart que vous allez « surprendre ». Osez le faire, Monsieur le ministre.

Je vous prie d’agréer...

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Publié par Marc Vuillemot - dans Éducation - enfance - jeunesse