12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 15:50

http://sphotos.ak.fbcdn.net/hphotos-ak-ash2/hs493.ash2/76672_177080325638735_100000103067117_657606_7938806_n.jpgIl y a 92 ans, le 11 novembre 1918, à La Seyne, les cloches de Notre-Dame-de-Bon-Voyage, comme celles de toutes les églises de France, sonnaient pour annoncer la fin d'une sale guerre de quatre ans. Outre mes collègues adjoints et conseillers municipaux, nous avons accueilli Jean-Sébastien Vialatte, députe-maire de Six-Fours, Mireille Peirano, vice-présidente de la Région Provence Alpes Côte d'Azur, représentant Michel Vauzelle, président de la Région, Sandra Torres, conseillère régionale, ou encore Patrjck Martinenq, conseiller général de La Seyne. J'ai prononcé, à cette occasion, le discours ci-après qui a, paraît-il, dérangé certains. Je me demande pourquoi...

"Nous célébrons cet Armistice qui mit fin aux combats après quatre années d’une guerre jamais vue jusqu’alors.

"Avec tout le respect que nous devons à la mémoire des disparus et aux rares survivants, nous célébrons les soldats, les populations, les victimes, qui ont porté cette première guerre mondiale dans leur chair, leur sang, leurs souvenirs... Plus jamais ça, avaient-ils dit à l'époque... Et pourtant !

"Nous célébrons aussi les idéaux perdus pour lesquels ils ont tant souffert.

"Et, en effet, la France, telle que nous la vivons aujourd’hui, semble parfois loin de ces fondations républicaines égalitaires issues de la Nuit du 4 août qui, au-delà d’un patriotisme exacerbé par la guerre, ont porté des gens simples à combattre deux empires aristocratiques au nom de la République.

"Le monde d’aujourd’hui montre que les leçons du passé ne sont pas tirées.

"La Grande Guerre fut, entre autres, le résultat d’une Europe divisée ; de l’expansion coloniale et de ses dérives ; du nationalisme le plus étroit ; du désir de revanche ; de la question territoriale ; enfin, et ce n’est pas le moindre, le résultat de l’aveuglement de ce grand capital encourageant la course aux armements.

"Je l’ai déjà exprimé, mais je le répète : Gardons-nous aujourd’hui des images trop mortifères, propres à entretenir la défiance et la haine des peuples et gardons-nous de perdre le sens du futur et le goût du présent.

"Le bonheur, qui était cantonné au Paradis avant la Révolution Française, était devenu accessible sous l’impulsion des philosophes des Lumières ; redescendu sur terre, en quelque sorte... Avec la révolution industrielle, avec le travail moins pénible et réglementé, le travailleur acquiert un statut. Le bonheur est devenu un objectif. Et les fins des deux guerres mondiales ont accéléré la nécessité de penser l’organisation sociale pour tous.

"Mais notre présent semble aller à contresens du projet de société que ces deux guerres ont suscité en réaction : ce modèle de civilisation, où l’humanisme le dispute au profit, est lentement mais sûrement détricoté.

"La Grande Guerre a eu un effet positif, si l'on ose dire, car, par son ampleur, par son horreur, elle a grandement contribué à forger les identités politiques de démocraties encore très fragiles, une transformation des mentalités, la reconnaissance des femmes dans la vie économique. Ces évolutions ont préparé les opinions publiques à admettre le combat contre les empires financiers (les lois anti-trust), le colonialisme, les situations établies par la naissance, et les logiques immorales d’un capitalisme dont l’aveuglement dans la quête d’un enrichissement sur le dos des peuples n’était que faiblement balancé par un paternalisme hypocrite.

"Ainsi, de cette Grande Guerre, il sortit une notion confortée de la citoyenneté et de ce qu’un Etat responsable et solidaire pouvait apporter. Cela ne s’est pas fait dans l’angélisme. Nos Républiques furent bousculées, bafouées, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en France. Elles ne surent pas s’opposer à un deuxième conflit planétaire.

"Et aujourd’hui, ce qui nous menace, c’est l’oubli. L’oubli de ces combats, l’oubli de ce qu’est la vie sans espérance, l’oubli de ce qui fut conquis dans des luttes opposant les petites gens aux grands possédants. Ce que nous voyons, c’est l’affaiblissement des politiques publiques au gré du désir des élites au pouvoir : « Moins d’Etat pour mieux d’Etat », disent-ils sans vergogne.

"On réclame des efforts à des citoyens dont le pouvoir d’achat est en berne et dont l’emploi est menacé, on met en œuvre une révolution silencieuse qui démantèle un soi-disant Etat-providence. La notion de service disparaît au profit de la performance. Cela passe par des coupes sombres et la perte de la notion d’intérêt général. Je l’ai dit et regretté par ailleurs, nos communes, nos départements, nos régions, espaces de la démocratie, sont gravement touchés.

"Oui, oui vraiment, nous aurions tort de négliger l’utile compréhension des enchainements du passé ; ceux qui ont conduit à accepter comme inéluctable ce qui s’est avéré être inacceptable.

"Les totalitarismes ont été des expériences de croyances obscures rendues limpides par simplisme. Ils ont pourtant attiré les foules et, parmi elles, des gens intelligents, instruits, cultivés.

"Ces dernières années, la richesse des plus riches a littéralement explosé cependant que le revenu moyen stagne. On poursuit avec résolution les petits délinquants, mais on laisse en paix les exilés fiscaux… Ces manquements entraînent nos démocraties représentatives dans les mêmes crises qui, sans remède, désespèrent les masses, conduisent à des solutions simplistes et désignent des boucs émissaires.

 "Nous ne pouvons plus dire que nous ne savons pas ce qu’il advient de la perte de confiance dans la représentation, dans le discrédit d’un pouvoir parlementaire soumis, dans le sentiment que ce pouvoir serait ailleurs que dans les sphères politiques. Le résultat, on le sait, est le repli sur soi, la délégation ou l’abandon de sa propre volonté à d’autres.

"Nous savons, pourtant, ce qu’il convient de réaliser pour empêcher cet engrenage pervers : du courage, de l’ambition pour tous, de la volonté. Du courage parce que la peur provoque une concurrence de tous contre tous. De l’ambition parce qu’il faut refonder une Nation solidaire. De la volonté, parce que rien n’est irréversible.

"Jean Jaurès, assassiné en juillet 1914 parce qu’il s'opposait à cette guerre dont nous commémorons aujourd'hui la victoire – et donc la Paix -, disait  en s’adressant à la jeunesse d’Albi : « L’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu ». Il ajoutait en visionnaire « Ce n’est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c’est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu’il faut faire entrer la liberté vraie, l’égalité, la justice ».

"Au lendemain de l'autre guerre, en 1945, la société et les institutions ont été refondées sur des principes d’équité et de solidarité. Comme à cette époque, - où la détresse semblait indépassable, où le contexte, les difficultés, paraissaient bien plus complexes que ce que nous vivons -, nous devrions assurer à nos concitoyens une protection solidaire qui allie la liberté individuelle et le cadre collectif. Et, dans une vision portant sur le moyen terme, l’économie ne devrait pas échapper à cette règle.

"Nous vivons, en Europe, un moment fort, peu commun, jamais vu dans l’Histoire : la disparition de la guerre sur nos territoires. Et voyez le paradoxe : arc-boutés sur nos égoïsmes, nous ne savons plus vivre en société, ni organiser le bien commun.

"Tous, nous voulons la démocratie ! Mais bien peu s’intéressent concrètement à la décision commune, à l’effort à produire ensemble, au partage des richesses et au partage des obligations. Nous voulons préserver la planète mais… ne rien céder sur nos façons de vivre ! On veut des équipements, on veut des services, mais on ne s’intéresse pas à la façon de les maintenir.

"Je disais, l’an passé, que notre présence devant ce Monument n’était ni anecdotique ni désuète, que nous étions les instruments de la formation civique et la conscience des populations, que nous devions user de notre mémoire dans un exercice critique où l’honnêteté disputait à l’exactitude.

"Eh bien, vous voyez, je ne renie rien, c’est au nom de cet exercice critique que je me suis permis de sortir un peu du cadre strict de la commémoration historique des événements combattants.

"Aujourd’hui j’ajoute : ce n’est pas seulement la fin de la guerre que nous devons célébrer, mais la solidarité des hommes dans l’adversité.

"Notre défi, ce n’est plus le courage d’aller sur le Chemin des Dames, c’est de construire un avenir de Paix et de solidarité pour les enfants du Monde.

"Oui, vive la Paix !

"Vive l'Europe des peuples solidaires !

"Vive la France républicaine !"

 

> Merci, Khalid, pour la photo illustrant cet article que j'ai piquée sur ton "mur" d'un "réseau social" bien connu...


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Publié par Marc Vuillemot - dans Devoir de mémoire