27 octobre 2025 1 27 /10 /octobre /2025 03:37

 

C'est une chaîne de télévision qui, dans sa déclinaison varoise, a annoncé la nouvelle un matin de la semaine dernière. Ça a manifestement fait la joie de certains qui n'ont pas manqué de relayer la vidéo de cette exclusivité sur leurs pages de réseaux sociaux : à La Seyne, les gauches et les écologistes ont disparu !

 

C'est du moins ce qui ressort du visionnage de ce morceau d'anthologie de l'information télévisuelle. Et, sans correction à venir équilibrant l'annonce, ce serait détestable.

 

 

J'ai pour habitude, pour corroborer mes écrits, de proposer le lien vers l'article de la presse écrite ou la vidéo de l'émission télévisée auxquels je fais référence – en prenant garde, pas comme d'autres, de respecter les droits d'auteur –. Mais là, le parti pris éditorial de la séquence de pas moins de cinq minutes dont il s'agit est tellement fallacieux par omission que je n'ai aucune envie de permettre à ceux qui y ont heureusement échappé de découvrir cette émission de télévision. Il suffira aux gens qui ne donneraient pas crédit à ce qui suit, de fouiller un peu sur le Net – il n'y a pas tant de canaux nationaux avec des antennes locales, hors service public – pour trouver cette séquence diffusée au matin du 22 octobre.

 

 

LA GAUCHE ET LES ÉCOLOGISTES INVISIBILISÉS

 

Phrase après phrase de cette émission politique consacrée, après les trois premières minutes dédiées à un autre sujet, aux élections municipales de 2026 à La Seyne (de 3 mn 15 à la fin), je me suis demandé quand allait être évoquée, dans la présentation du paysage politique local, l'existence chez nous de personnes et d'organisations de sensibilités écologistes et des divers courants des gauches. Et je suis resté sur ma faim. Cette réalité n'a jamais été effleurée, ni par le commentateur invité, ni par la journaliste présentatrice, sinon pour dire que, dans un lointain passé, la ville était « ancrée très à gauche ». Ce 22 octobre 2025, tout un pan, pourtant non négligeable, du décor politique seynois a été gommé.

 

 

EN REVANCHE, L'EXTRÊME DROITE EN HÔTE D'HONNEUR

 

À en croire l'invité de l'émission, jamais contredit par la journaliste qui aurait pu compléter et rétablir la réalité objective des choses, l'analyse de la situation seynoise conduirait inéluctablement à ce que le prochain maire soit un élu du Rassemblement National (RN). Ça a été exposé à pas moins de quatre reprises...

 

1ère assertion –  ​​​​​​« avec un candidat du RN qui est placé assez haut en termes de sondages à La Seyne »  : de quel(s) sondage(s) parle-t-on ? J'ai eu beau chercher sur toutes les publications des instituts d'études d'opinion, aucun sondage ne semble avoir été réalisé sur les intentions de vote des Seynoises et Seynois en mars prochain. Peut-être que l'analyste invité est dans le secret des dieux d'une enquête privée comme certains acteurs politiques locaux ont les moyens de se les offrir...

 

2ème affirmation –  « une dispersion des forces [de la droite, seule évoquée] qui devrait faire le jeu de Dorian Muñoz, le candidat du Rassemblement National qui, manifestement, fédère »  : sont-ce les sondages précédemment invoqués qui permettent d'avancer cette certitude ?...

 

3ème allégation –  « un Rassemblement National qui monte au fur et à mesure des élections »   : de quelles élections s'agit-il ? Si l'on considère les scrutins locaux de La Seyne depuis 2008, c'est vrai. Mais les courbes ci-dessous ( * ) attestent qu'on est très loin des progressions de l'extrême-droite dans le Var, la Région ou la France. Grosso modo, les trois blocs (extrême-droite, droite, et gauches et écologistes) font désormais à peu près jeu égal à La Seyne. Et tout peut basculer dans un sens ou l'autre au vu de l'énorme pourcentage croissant d'abstentionnistes mobilisables.

 

4ème, et la plus extravagante, déclaration –  « on pourrait parfaitement avoir un candidat du Rassemblement National élu au premier tour »  : oups !!! le conditionnel tempère un peu le propos, mais on se demande comment cela serait possible au regard des scores réalisés et de la loi électorale qui impose qu'une liste, pour être élue au premier tour, doit obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés et surtout réunir au moins 25 % des voix des électeurs inscrits, soit environ 11.000 voix à La Seyne, alors que le RN en a recueilli en moyenne 4.400 au cours des six derniers scrutins locaux.

 

 

PLURALISME ET HONNÊTETÉ DE L'INFORMATION ?...

 

Ce qui est surprenant et inquiétant, c'est à la fois l'outrance de cette exagération dans la bouche du commentateur, qui pourrait contribuer à légitimer l'extrême-droite dans l'esprit des téléspectateurs, et l'omerta, délibérée ou non, sur les sensibilités progressistes qui, pourtant, les chiffres le prouvent, constituent autant de rempart contre le RN que les droites locales toujours très divisées et en chute continue depuis 2008. Quel message cherchait-on donc à faire passer ?

 

Et qui était cet invité de la journaliste ? Sur un sujet d'importance, on se doit normalement de faire appel à une expertise reconnue, par exemple, au vu du thème de l'émission, à un spécialiste des études d'opinion ou des sciences politiques. Là, on a fait appel à un avocat, certes reconnu pour sa grande compétence en droit pénal et en droit de l'immobilier ainsi que pour son implication appréciée dans la représentation des avocats du barreau de Toulon, mais manifestement pas très au fait de la vie politique seynoise. Étrange...

 

Ces analyses aussi approximatives qu'orientées sont compréhensibles d'un amateur, mais inexcusables de la part de la journaliste qui, on peut l'imaginer, relaye normalement un choix rédactionnel de la chaîne et aurait dû rééquilibrer l'information. On n'est pourtant pas sur un canal de la sphère d'extrême-droite de M. Bolloré ! Mais, sur ce coup, il est clair qu'il n’y a pas que sur les antennes Bolloré que, comme l'ont écrit sur un autre sujet ( ** ) des journalistes de Mediapart, « le poison des vérités alternatives a distillé son venin, au point que la vérité ne semble désormais plus qu’une opinion parmi les autres ».

 

 

LA GAUCHE ET LES ÉCOLOGISTES VONT DEVOIR REMONTER LEURS MANCHES

 

En 2024, le régulateur de l’audiovisuel (Arcom) a pourtant exigé de l’acheteur de cette chaîne, la branche médias d'un géant marseillais du fret maritime, des engagements en matière d’« obligations déontologiques », au nombre desquelles le respect « du pluralisme, de l’honnêteté et de l’indépendance de l’information et des programmes ». La rédaction de l'antenne varoise du média serait bien inspirée de prévoir sans trop tarder une émission qui contrebalancerait celle du 22 octobre...

 

Et, en tous cas, l'équipe des gauches et de l'écologie, qui se prépare à offrir une alternative à la droite locale sortante et assurer un bouclier protecteur face à l'extrême droite, va devoir redoubler d'efforts de communication objective de qualité, avec tous les moyens disponibles, en direction du plus grand nombre des Seynoises et Seynois qui devront exercer en 2026 leurs droits et devoirs citoyens à partir de données tangibles, précises, justes et honnêtes.

 

 

 

 

 

 

_________________________________

( * ) : Ce sont les résultats des premiers tours, puisqu'il ne reste pas tous les candidats aux seconds. Pour les cantonales et départementales dans l'ancien canton de Saint-Mandrier (2011) et l'actuel canton de La Seyne 2 (2015 et 2021), seuls sont comptés les suffrages concernant la partie seynoise des cantons. Pour chaque "bloc" (extrêmes droites, droites et gauches/écologistes), ce sont les totaux des suffrages recueillis par les principales listes présentes aux premiers tours.

( ** ) : Les journalistes de Mediapart ont rapporté que, dans une émission nationale de cette même chaîne, « l’avocat de Nicolas Sarkozy a pu dérouler tranquillement l’idée que l’ancien président français avait été condamné malgré un dossier ne comportant “aucune preuve” ». Ils écrivent aussi qu'un journaliste de ce même media « avait pourtant annoncé qu’il allait discuter des raisons de [la] condamnation » de M. Sarkozy, mais qu'il « s’est surtout concentré sur les conditions de son incarcération et n’a cessé de répéter que l’ex-président ne bénéficiait d’aucun régime de faveur », rappelant que « le jour de la condamnation de Nicolas Sarkozy, jeudi 25 septembre, sur [cette chaîne], des consignes envoyées aux présentateurs par des spécialistes de la matière judiciaire avaient été largement ignorées et qu’une journaliste, un peu trop rigoureuse, a même été convoquée » pour ne pas s'y être tenue.

Partager cet article

Repost0
Publié par Marc Vuillemot - dans Démocratie locale et communication