24 avril 2020 5 24 /04 /avril /2020 11:02

Il fallait que la parole des habitants des communes populaires soit portée auprès du Président de la République et du gouvernement lors de l'échange qui a été organisé ce jeudi avec une vingtaine de présidents d'associations nationales d'élus municipaux et de maires de villages et de villes de toutes tailles, pour préparer le « déconfinement » qui débutera le 11 mai.

Et le Chef de l'État n'a pas oublié nos quartiers urbains fragiles. C'est au titre de président de l'Association des maires Ville & Banlieue de France que j'ai été convié à ce rendez-vous. Je ne portais donc pas les seuls avis de La Seyne, mais les réflexions et suggestions que nous avions élaborées avec mes collègues maires de communes abritant des quartiers de relégation, de toute la France et de toutes sensibilités politiques républicaines, dans les jours précédant l'échange qu'a voulu avoir le Président de la République.

Mais je pense utile de faire connaître mon intervention aux Seynois, dans laquelle ils trouveront, je le pense, des éléments faisant écho à ce qu'ils connaissent chez nous...

 

 

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les ministres, Chers collègues maires,

« La situation est très complexe dans les quartiers populaires fragiles, grands ensembles d'habitat social ou centres anciens dégradés, où vivent près de 6 millions de nos concitoyens.

 

DES ÉMEUTES DANS DES QUARTIERS : NE PAS NIER, MAIS ÊTRE OBJECTIFS ET RESTER VIGILANTS

 

« Il faut d'abord le préciser, les émeutes dont on fait état sont très loin d'être généralisées et, là où elles ont eu lieu, elles ne sont le fait que d'une infime poignée de personnes. La dignité et le sérieux des habitants est un fait très général. Contrairement aux idées reçues, les police nationale et municipale jouent plutôt bien le jeu de la reconquête républicaine en assurant comme ailleurs les contrôles, sans discrimination, et beaucoup de mairies et d'associations de prévention ont mobilisé leurs éducateurs et animateurs pour faire de la pédagogie du confinement. Il faut pouvoir poursuivre cette présence essentielle dans toute la phase du déconfinement.

 

« Au stade où nous en sommes de notre réflexion partagée, nous avons quelques suggestions concrètes à émettre.

 

 

REPRENDRE EN SÉCURITÉ LE CHEMIN DE L'ÉCOLE, DE LA CANTINE ET DU PÉRISCOLAIRE

 

« Sur le plan de la reprise de l'école, les éléments sont avérés. C'est dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) que les décrochages et la perte de contact entre enseignants et jeunes sont les plus importants. L'écart en matière de réussite scolaire se creuse. Il faut que la reprise soit le moyen d'en compenser une partie. Nous demandons une intervention financière de l'État pour que les écoles, collèges et lycées, notamment professionnels, puissent être rapidement et parfaitement aménagés pour garantir la sécurité sanitaire et assurer la reprise le plus tôt possible pour tous les enfants, adolescents et jeunes des QPV. S'ils doivent ne reprendre qu'en demi-groupes, voire quarts de groupes, en alternance, il faut que l'Éducation nationale garantisse l'attribution, par la mobilisation des crédits de la cité éducative, disponibles de suite mais qu'il faudra compenser ensuite, d'outils numériques pour tous, accompagnés de mise à disposition de clés 3G ou 4G pour les liaisons Internet.

 

« Cette reprise possible dès début mai est d'autant plus nécessaire que beaucoup d'enfants ont faim. On le sait, le déjeuner en restauration collective, au tarif aux alentours d'un euro, est souvent le seul repas équilibré et en quantité suffisante de la journée. Là encore, il faut un appui financier de l'État pour les aménagements nécessaires afin que, même si on sert des sandwichs et si on étale dans la durée le temps d'interclasse de midi, les cantines puissent rouvrir.

 

« Pour rattraper au mieux le retard, les mairies sont globalement d'accord pour se mobiliser cet été, via les cités éducatives, pour des activités de soutien aux côtés ou en complément des enseignants. Mais, pour un millier de QPV, il n'y a que 80 cités éducatives. Il va falloir une mobilisation financière de l'État pour les autres.

 

 

CONFORTER ET VALORISER L'ENGAGEMENT DES PERSONNELS ÉDUCATIFS

 

En outre, les personnels des mairies de l'éducation scolaire et périscolaire, sociaux et médicosociaux, de logistique pour les infrastructures d'accueil, etc, sont en première ligne : les mêmes coups de pouce en forme de primes que l'État va allouer aux fonctionnaires de santé doivent pouvoir leur être assurés. Là encore, c'est la solidarité de la Nation qui doit permettre aux collectivités des territoires de les assurer.

 

Et, comme le travail de compensation des inégalités scolaires ne va pas s'arrêter là, mais se poursuivra après la rentrée de septembre, il faut un moratoire sur la géographie de l'éducation prioritaire, et des mesures de carte scolaire exceptionnelles, des non-fermetures et des ouvertures de postes, y compris pour les réseaux d'aide et de soutien pour les enfants en difficulté (RASED).

 

 

LA PROTECTION SANITAIRE : UN INDISPENSABLE APPUI ÉGALITAIRE DE L'ÉTAT

 

« La question des masques est très complexe dans les QPV.  Les familles qui ne peuvent plus payer leurs loyers et leurs charges locatives, ni acheter suffisamment à manger, ne peuvent en acquérir. Elles sont cependant les plus fragiles en matière de santé.

 

« Il faut donc d'autant plus leur en fournir d'ici au 11 mai que, en bien des endroits, les communes accueillant des pauvres sont des communes pauvres, et que la solidarité territoriale intercommunale, départementale ou régionale ne s'exerce pas partout. Nous pouvons assurer la logistique, mais l'État doit assurer le financement des masques que beaucoup de nos mairies ne peuvent budgétairement acheter en quantité suffisante.

 

« Cette situation financière nous conduit d'ailleurs à demander non seulement des aides exceptionnelles à l'État pour couvrir les charges spécifiques auxquelles nous peinons à faire face, mais également la possibilité d'inscrire ces dépenses inédites au budget d'investissement, pour que leur impact soit étalé dans la durée et que, même à taux réduit, la TVA soit compensée. Une relecture de la péréquation est aussi indispensable.

 

« J'en terminerai en dépassant l'immédiat de début mai pour le déconfinement.

 

 

EMPLOI : LA NÉCESSITÉ D'UN PLAN URGENT POUR CONTRER LA PAUVRETÉ QUE LA CRISE SANITAIRE AGGRAVE

 

 

« La pauvreté s'est accrue et va s'accroître. Il ne faut pas se mentir. Beaucoup de familles vivent chez nous grâce aux petits boulots, plus ou moins règlementaires au plan du droit du travail et de la couverture sociale. Ces familles ne retrouveront pas facilement leur activité avec le déconfinement.

 

« Or les dispositifs existants pour l'insertion professionnelle, s'appuyant beaucoup sur le bon vouloir des acteurs économiques, vont immanquablement stagner ou régresser. On pourra d'autant moins mobiliser des outils comme les emplois francs que les entreprises sont très fragilisées.

 

« Nous suggérons la mise en œuvre d'un plan immédiat d'au moins 100.000 emplois aidés sur le modèle des anciens contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) qui ont montré leur efficacité, qui peuvent être créés par les employeurs publics et associatifs, et qui appuieront en outre les efforts d'accompagnement social qui vont être plus qu'indispensables de façon durable.

 

 

LOGEMENT ET CADRE DE VIE : UNE RELANCE INDISPENSABLE

 

« Enfin, la pandémie a mis en lumière la vétusté, l'insalubrité et la promiscuité terribles dans le logement, notamment social, et en particulier pour les copropriétés dégradées.

 

« Un plan d'ampleur, s'appuyant sur un accroissement du nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU) s'avère indispensable, dans des délais qui ne peuvent ressembler aux atermoiements que l'on a connus depuis la loi Lamy. Cela offrirait en outre un coup de pouce à la redynamisation du secteur économique du BTP et des supports pour des emplois et des chantiers d'insertion.

 

 

LES MAIRES PRÊTS À CO-CONSTRUIRE... COMME POUR LE « RAPPORT BORLOO »

 

« On mesure, avec cette crise qui révèle l'ampleur des inégalités, dans le monde rural, dans les QPV, et d'autres, sur les plans urbain, économique, des mobilités, sanitaire, social, et éducatif, combien l'appel des maires de nos communes à la création d'une cour de justice d'équité territoriale, l'une des mesures proposées dans ce qu'on a appelé le rapport Borloo en 2018, était fondée.

 

« Et, plus généralement – la mobilisation du dispositif cité éducative en atteste par exemple aujourd'hui en temps de crise –, combien les mesures retenues de ce rapport Borloo tiennent leurs promesses et, du coup, combien d'autres, suggérées alors, peuvent s'avérer utiles, voire indispensables. »

 

 

Bien sûr, nous n'attendions pas de réponses immédiates de la part du Président de la République. Nos avis et demandes ont été enregistrés, les ministres sont chargés de les intégrer dans leurs réflexions, et nous commencerons à être fixés la semaine prochaine lors d'une nouvelle visioconférence à laquelle nous serons conviés. M. Macron a toutefois apporté quelques éléments que je livre également sur ce lien, à partir des notes que j'ai pu prendre au cours de l'échange.

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Publié par Marc Vuillemot - dans Civisme - prévention et sécurité