2 novembre 2020 1 02 /11 /novembre /2020 06:05

Mes pensées d'encouragement et de soutien, en ce matin de reprise du chemin de l'école, vont à mes anciens collègues personnels d'enseignement, d'éducation, d'administration, de direction et techniques qui font vivre les lieux des apprentissages des savoirs et de la citoyenneté, aux enfants et aux jeunes, à leurs familles, et à tous ceux qui, autour de l'École, dans la plupart des quartiers du pays, dont bien sûr à La Seyne, l'une des premières « cités éducatives » de France depuis 2019, complètent et soutiennent, par leurs missions d'éducation populaire, la belle œuvre républicaine de formation et d'émancipation.

Ce retour de vacances, en effet, est plus singulier que jamais. Et son enjeu est capital.

 

J'ai suivi les inquiétudes exprimées par les professeurs au cours des congés, au fur et à mesure que les annonces de leur hiérarchie du plus au niveau se contredisaient quant aux modalités de ce premier jour dans un contexte inédit. Je les comprends et je suis rassuré par le fait que la plupart de leurs syndicats ont pris des mesures pour les soutenir si besoin et, ce faisant, soutenir l'École de la République en pesant, fût-ce par la grève, sur le gouvernement.

On peut en effet à bon droit être inquiet avec le recul de leur ministère quant à l'hommage dû au professeur assassiné. C'est d'autant plus consternant que, de leur côté, les écoles allemandes vont, elles, assurer un temps d'hommage et de réflexion. Mais on doit aussi garder espoir lorsqu'on voit des chefs d'établissements qui ont choisi, ça et là, contre leur hiérarchie, de maintenir sous leur forme initialement envisagée les temps de symbole, de recueillement et d'élévation des consciences prévus à la suite du drame terroriste.

 

LES ÉLUS LOCAUX AUX CÔTÉS DE L'ÉCOLE POUR PLUS DE RÉPUBLIQUE ÉGALITAIRE

Je sais que, dans tout le pays, les élus locaux et personnels des collectivités seront aux côtés des acteurs de l'École, pour ce qui les concerne. Il est vital que, pour sa part, l'État ne faillisse pas. Ni, a fortiori, ne renonce et cède un pouce de terrain.

De droite comme de gauche, nombre de mes anciens collègues maires des communes ayant des quartiers populaires sur leurs territoires, sûrement plus préoccupés que d'autres au regard de leur situation sociale, terreau des embrigadements, qui ne cesse de s'aggraver exponentiellement, ont déjà, au cours des vacances scolaires, pris des initiatives, tant, comme me l'a dit l'un d'entre eux ce dimanche, « l'immobilisme, la stupeur et la torpeur sont nos ennemis ». Là, c'est la lettre de Jaurès aux instituteurs distribuée dans tous les foyers d'une commune populaire, ailleurs c'est un rassemblement œcuménique auquel ont pris part les élus de la ville, un peu partout la signature d'un appel transpartisan à l'État, publié par le JDD, pour un soutien aux quartiers vulnérables « où se joue beaucoup de l'avenir de notre cohésion sociale ». Dommage que les édiles seynois aient laissé passer cette occasion de s'associer à cette démarche.

 

LA STIGMATISATION, AUTRE TERREAU DU PIÈGE TENDU PAR LES OBSCURANTISTES 

Tout cela s'exerce sur un fond nauséabond de racisme et d'exacerbation des plus vils instincts par des acteurs politiques aux périlleux propos globalisants et stigmatisants dans une sorte de course folle, comme s'il leur fallait rattraper les plus extrêmes des intolérants (« fermer les rayons hallal », « supprimer les menus alternatifs des cantines », « islamogauchisme »« cinquième colonne », etc.), qui donnent à craindre pour les temps à venir.

Nous étions plusieurs centaines d'élus locaux, de la droite républicaine à la gauche radicale, en passant par des centristes et des écologistes, il y a tout juste un an, à avoir signé une tribune, parue dans le JDD, à tirer la sonnette d'alarme de la stigmatisation. Je la rappelle ci-après...

« La barbe !! La cabale médiatique à travers la retransmission bienveillante des propos les plus indignes à l’endroit des musulmans ainsi que l’inconséquence des prises de position politique au plus haut niveau de l'Etat nous amènent à dénoncer avec force et détermination les raccourcis périlleux vers lesquels notre pays est entraîné...

« Du ministre de l'Education nationale qui déclare par des mots insensés vouloir “signaler les petits garçons qui refusent de tenir la main des petites filles” au directeur adjoint du Figaro qui affirme à la télévision “détester la religion musulmane”, il est de notre responsabilité d'alerter sur les risques que d'aucuns font peser sur la nation en stigmatisant, à dessein, plus de six millions de nos concitoyens. La quête des fameux “signaux faibles” jette désormais le trouble et le soupçon sur une foi qui n'aspire à rien hormis le droit à la normalité. Nul ne peut prétendre combattre le terrorisme ou la radicalisation par l’humiliation, sauf à rechercher obstinément et furieusement l'effet inverse. A chaque menace qui plane sur le pays et à chaque attaque terroriste, nos concitoyens de confession musulmane tremblent doublement : pour la nation, parce qu’ils sont concitoyens, et pour leur foi, parce qu’ils vivent instantanément la méfiance.

« L'initiative malheureuse, maladroite et pour le moins équivoque de l’université de Cergy dans la recherche des signaux faibles n’est là qu’un début. Le début d’un bruit sourd qui se répand comme la peste et qui n’a qu’un nom : délation ! Nous voilà doucement mais tout aussi sûrement revenir vers les heures les plus sombres de notre Histoire. Des jours sombres qui n’augurent rien de bon, hormis la défiance et la crispation. A trop pointer du doigt une communauté de croyants, à en faire une menace potentielle dès lors qu’elle porte une barbe ou un voile, l’on verse non plus dans une société de la vigilance mais dans celle de la suspicion. A persister sur ce lexique, il est à redouter la naissance d’une forme de frustration chez la très grande majorité des musulmans qui perçoit, de plus en plus, les positions stigmatisantes à leur endroit comme la volonté manifeste de les soustraire à la nation. Il ne sera plus question de fracture sociale dans notre pays mais bien d’une déchirure nationale. Dévoyer la laïcité au point de mettre à mal le besoin de fraternité, de refuser l’égalité et enfin d’entraver la liberté, voilà qui contribuera à démembrer la volonté de tous de faire corps dans la République. A ce stade, les conséquences seront autrement plus inquiétantes...

« Un sursaut. C'est de cela dont nous avons besoin. Et seuls nos concitoyens, dans un élan fraternel, en sont capables. Enfin, notre nation est une et indivisible. Le président de la République est garant de ce principe. Il est garant de la Constitution. Il est garant de l'application de la loi. Il s’agit de sa responsabilité devant le peuple et devant l'histoire. Il est l'incarnation de l'unité. Nous attendons qu'il se lève et le clame à tous. »

 

LA GAUCHE SOCIALE ET POLITIQUE A UN RÔLE MAJEUR À JOUER

Au-delà, la gauche française, sociale et politique, a aussi une responsabilité à assumer face aux jeteurs d'anathèmes que l'on entend jusque dans les propos de certains membres du gouvernement. Celle d'être en première ligne, en faisant preuve d'unité, condition de son efficience, et sans omettre de faire amende honorable quant à ses propres errements, pour aider la nation à ne pas tomber dans le piège tendu par les terroristes. Des personnalités diverses ont publié ces jours derniers dans Le Monde une tribune qui nous appelle à la mobilisation...

« Le moment est grave, il ne quittera pas nos mémoires. Samuel Paty, professeur d’histoire et de géographie, a été assassiné par un terroriste islamiste. A Nice, un autre crime ignoble a été commis. Ces actes monstrueux ont pour but de semer la haine et la terreur. Pourtant, cette fois, les appels à l’unité n’ont pas suffi à limiter les tensions au sein de la société française. En démocratie, le débat est souhaitable après de tels évènements. Mais depuis la tragédie du 16 octobre, certains, parfois même au sein du gouvernement, se sont engagés sur la voie des anathèmes et des accusations délirantes. Ils prennent la lourde responsabilité d’affaiblir le pays face aux terroristes en dressant les Français les uns contre les autres. Les assassins et ceux qui les ont encouragés auraient-ils déjà gagné ?

« Il est urgent de nous mobiliser ensemble autour des principes laïques et républicains. Si nous échouons, l’islamisme radical aura remporté, avec l’extrême droite, une victoire décisive en faisant de la question religieuse, et plus précisément de l’islam, le pivot de la politique française, au détriment des urgences sociales, écologiques et démocratiques. Pire, il aura installé des germes durables de guerre civile.

« Pour avancer, il importe d’abord de reconnaître les manquements du passé. Combien d’atteintes à la laïcité et à la liberté d’expression et d’enseignement restées sans réponse ? Combien d’appels au secours ignorés, qu’ils viennent d’enseignants et d’autres agents des services publics devant la dégradation de leurs conditions de travail, ou d’habitants des quartiers populaires devant l’absence de l’Etat, notamment sur le terrain de la sécurité ? Combien de discriminations à l’égard de musulmans ou de ceux qui sont supposés l’être, laissées impunies ?

« Manifestement, le gouvernement considère que l’on pourrait lutter efficacement contre l’islamisme radical sans combattre en même temps, à la racine, le racisme, les discriminations et les déchirures sociales et urbaines des territoires abandonnés. Il feint également d’ignorer qu’existent au sein de l’islam, en France et ailleurs, des forces prêtes à combattre les influences mortifères. Cette absence de vision globale donne toujours une victoire symbolique aux islamistes radicaux. Elle a depuis longtemps favorisé leur implantation.

« Oui, les manifestations agressives d’une idéologie totalitaire allant jusqu’au terrorisme doivent être combattues sans trêve ni repos dans le cadre de l’Etat de droit. Pour cela, de nombreux leviers juridiques existent déjà. Il faut résister à la tentation de réagir à chaque attentat par une loi supplémentaire ou des gesticulations spectaculaires. Les carences relèvent surtout d’une insuffisance de moyens de renseignement et de coordination, notamment dans le suivi des réseaux sociaux.

« Le combat contre l’islamisme radical, les pressions qu’il exerce à l’école et ailleurs pour restreindre les libertés, notamment celles des femmes ou des personnes LGBTI+, appelle des actions construites, déterminées et proportionnées. Ces politiques doivent être conduites dans la durée et mises en œuvre sans faiblir dans un cadre légal défini et protecteur des libertés. Pour être efficace, il nous faut combattre l’intégrisme islamiste en priorité sur le terrain éducatif, social et politique. Là où les fondamentalismes tentent de faire primer le dogme religieux sur les lois de la République, la fermeté de l’action publique est indispensable.

« L’école doit être aux avant-postes de ce combat. Mais elle ne peut pas être laissée seule. Celles et ceux qui y enseignent doivent être reconnus, soutenus et protégés au quotidien, et pas seulement passagèrement au lendemain des drames, particulièrement par un accompagnement humain en cas de difficultés, des outils et une formation pédagogiques renforcés pour permettre à tous les acteurs de l’école de savoir réagir.

« La laïcité définie par la loi de 1905 n’est pas une option : elle est et doit rester la loi de la République. Elle a traversé le XXe siècle, faisons-la vivre en garantissant effectivement la liberté de croire, notamment pour les musulmans, ou de ne pas croire. Plus qu’à la multiplication de lois nouvelles, veillons à l’application effective de celles qui existent déjà.

« La République, promesse inachevée, doit repenser sa présence dans tous les territoires pour faire exister l’égalité réelle par des politiques publiques offensives, avec des moyens humains et financiers substantiels, notamment dans le cadre de la mise en œuvre d’une transition écologique juste. Elle doit, conformément à sa devise, garantir l’absence de toute discrimination et chercher à réduire toutes les inégalités dans un esprit de fraternité.

« Pour nous, il n'y a pas de fatalité à ce que la France tombe dans le piège tendu par les terroristes. Nous ne cesserons jamais de vouloir tisser des liens entre tous les humains, malgré les assauts répétés des obscurantismes. Nous continuerons de lutter partout et toujours contre toutes les formes de racisme, d'antisémitisme et d'intolérance.

« Nous avons parfaitement conscience qu’il existe des désaccords entre nous sur ces sujets et que beaucoup reste à faire pour consolider ces réponses : ce texte se veut d’abord un appel à la gauche, aux écologistes et, au-delà, à tous les républicains, à engager ensemble ce travail à un moment où l’essentiel est en danger. »


J'en terminerai en donnant le lien vers des extraits de la « Lettre de Jaurès aux instituteurs » telle que mise en ligne, en vidéo, lue par le rappeur Oxmo Puccino, sur le site pédagogique Lumni de l'Éducation nationale...

Et le texte original de cette « Lettre aux instituteurs », publiée par La dépêche de Toulouse en 1888, qu'on trouve sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, tant il est vrai que le texte proposé aux enseignants pour la lecture aux élèves a quelque peu été.. tripatouillé...

Meilleure rentrée possible à tous. Et, bien sûr, que chacun prenne garde à ce maudit virus, pour lui-même, ses proches, les enfants dont il a la charge et leurs familles, dans des environnements de structures scolaires pas toujours très compatibles avec les précautions sanitaires indispensables...

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