Le Var avait surpris son monde, l’an dernier, en proposant de réunir toutes ses communes en une seule intercommunalité.
Non, soyons justes et précis : seulement 151 communes sur les 153 qu’il compte, puisque Saint-Zacharie et Vinon-sur-Verdon, respectivement liées dans des communautés de destins avec le pays d’Aubagne et celui de Luberon-Durance-Verdon, dans deux départements voisins, échappaient à la Grande Fusion.
Soyons aussi raisonnables et modestes : lorsqu’on parle de « son monde » qui avait été surpris, reconnaissons que ça n’avait pas perturbé tant que ça son million de concitoyens, qui ont d’autres chats à fouetter que cette « intercommunalité » dont ils entendent parler mais qui est bien loin des préoccupations quotidiennes de la plupart d’entre eux.
L’année dernière, l’opération avait avorté devant le tollé de nombreux élus. Il faut rendre hommage au préfet du département, aux présidents de l’association des maires du Var et de celle des communes rurales, et à certains élus membres de la commission départementale de coopération intercommunale, dont je suis assesseur, qui ont patiemment discuté avec les maires réticents à voir leur ville ou village intégrer telle ou telle communauté de communes.
Là, ça y est. On peut se réjouir que toutes les communes du département aient trouvé leur place dans l’une des 13 intercommunalités qui constituent désormais la carte du Var.
Mais le Var n’a pas renoncé à son Grand Œuvre. Ça passera inaperçu de la plupart de ses habitants, et c’est aussi passé inaperçu de beaucoup d’élus qui n’ont pas vu venir le coup. Ça s’appellerait un « Conseil des territoires et du développement ».
Officiellement, ce serait un simple espace de discussion, un « outil de concertation dans le domaine du développement, de la prospective territoriale et de l’aménagement du territoire ». En gros, un lieu qui ne serait rien d’autre qu’une sorte de « cercle républicain » comme nous en connaissons dans nombre de nos communes varoises, où nous « refaisons le monde » autour d’un verre... Pourquoi pas ?
Mais, concrètement, ce serait un « syndicat mixte ouvert ». C’est-à-dire une structure appelée à gérer des choses. Mais lesquelles ? Parce que, franchement, s’il s’agissait seulement de discuter du devenir d’un territoire, sans aller jusqu’à se retrouver sous les platanes de la terrasse d’un de nos « cercles » de villes et villages, on pourrait tout à fait s’en tenir à créer une association, ou une coordination des Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), ou une sorte de fédération des Conseils de développement qui sont adossés aux établissements de coopération intercommunale.
Donc, la question se pose : qu’est-ce que ce futur syndicat mixte, regroupant le Conseil Général du Var, les agglomérations de Toulon et de Draguignan, la Chambre de commerce et d’industrie, la Chambre des métiers, et la Chambre d’agriculture du Var, va-t-il bien pouvoir faire ?
Si on relit son titre et son objet, on frémit d’autant plus d’inquiétude que les sujets qu’il doit aborder - juste dans une concertation, c’est juré ! - intéressent bien sûr ses membres, mais aussi l’État et la Région, surtout si, nul ne peut l’ignorer, la réforme des institutions sur laquelle planchent le gouvernement et les parlementaires conforte l’échelon régional dans ses compétences sur l’économie et l’aménagement des territoires. Car on a vraiment besoin de Régions à l’image des Länder allemands, des Reggione italiennes, des Comunidades espagnoles, à la taille des enjeux européens et mondiaux d’aujourd’hui. Or l’État et la Région ne seraient que des « invités permanents sans voix délibérative » de ce futur syndicat mixte...
Le Var viserait-il par ce biais à anticiper les effets de cette réforme qui lui ôterait des leviers au profit de la Région, grâce à un outil singulier que l’État lui permettrait de créer ? Que craint-on ? Une offensive de l’Est niçois ou de l’Ouest marseillais justifiant un renforcement d’un pseudo particularisme historique identitaire varois qu’on ressasse à l’envi mais qui ne repose sur aucune réalité attestée, d’autant moins que le Var, en tant qu’entité, n’existe que depuis 1790, voire même 1860 en sa forme actuelle ?
La réalité géoéconomique, culturelle et sociale, elle, plaiderait plutôt pour des approches territoriales qui dépassent les limites administratives. Les bassins de développement transcendent les frontières départementales. L’aire toulonnaise a plus à œuvrer, en termes d’enjeux, avec Marseille, Aubagne et La Ciotat qu’avec Draguignan, comme les territoires du nord varois ont depuis des décennies compris que leur destin se noue avec ceux de l’autre rive du Verdon, au sud des Alpes-de-Haute-Provence, dans l’esprit de leur Parc Naturel Régional supra-départemental.
Le Var veut-il faire croire à une « identité varoise » agressée du Levant et du Ponant pour justifier l’érection d’une place-forte institutionnelle fortifiée ? Et, du coup, sauvegarder des seigneurs potentats retranchés dans des donjons, jouant des indulgences et bons gestes viagers accordés à tel vassal de canton ou vavassal de paroisse ?...
Beaucoup n’y ont vu que du feu, aveuglés par le souci de voir aboutir la carte des coopérations intercommunales. Il y avait pourtant à s’interroger. C’est la question des voix consultatives de l’État et de la Région au sein du futur syndicat qui devait mettre la puce à l’oreille. Car elle induit que les autres, eux, les douze « vrais membres » du comité syndical, ont des « vraies voix délibératives »... qui ne devraient servir à rien si, comme on l’assure, l’outil n’était qu’un lieu d’échanges de points de vues et non de gestion de projets structurants...
On jure qu’on se fait des idées. On affirme que les trois collectivités ou groupements et les trois chambres consulaires seront représentées chacune par deux délégués... bénévoles ! Qu’il n’y aura aucune structure, ni budget, mais juste une mutualisation de moyens ! De quels moyens a-t-on besoin pour seulement palabrer ?...
Après que les deux agglomérations et le Conseil général ont délibéré comme un seul homme (sauf les délégués de La Seyne au conseil communautaire de Toulon Provence Méditerranée), dans une belle unanimité aux airs d’unité nationale aux grandes heures des agressions de la Patrie, pour donner vie à ce « machin », le sort du Var serait désormais déposé entre les mains des Douze Bénévoles preux et valeureux, dans une éblouissante expérience de démocratie innovante, le peuple des intercommunalités membres élisant son conseil municipal, qui élit le conseil de sa communauté, qui élit deux des siens qui auront entre les mains le destin de tous...
La commission départementale de coopération intercommunale a donné un avis favorable à une large majorité à laquelle je n’ai pas joint ma voix, après avoir en vain demandé au préfet du Var de surseoir au vote, au moins dans l’attente de la future loi sur l’organisation des territoires, et tenté de plaider auprès des élus qui en sont membres de refuser la trop grosse perche tendue.
Il reste au préfet du Var à prendre l’arrêté de création de cette extravagante entité néo-féodale. Il peut ne pas le faire s’il estime que ce n’est pas conforme à la loi de la République...