Ce jeudi a été celui de notre fête nationale. Je le fais devant le parterre de citoyens et de représentants des corps constitués qui participent au défilé et à la cérémonie devant notre Monument aux morts, mais rarement sur mon blog. Oui, je dois réparer ça : merci aux élus, aux représentants de la Défense nationale, des polices nationale et municipale, aux sapeurs-pompiers et aux volontaires de la brigade de sécurité et de prévention des risques, aux associations d'anciens combattants, résistants, déportés et victimes des guerres, et à leurs porte-drapeaux, à la Philharmonique "La Seynoise" et à la "Clique seynoise", aux fonctionnaires de la mairie, et aux citoyens de tous âges qui prennent part et rehaussent de leur présence les événements commémoratifs.
Avec, cette année, une pensée particulière pour les jeunes filles et jeunes gens de la Préparation militaire marine et aux réservistes qui assurent leur formation, les lecteurs de ce blog comprendront pourquoi en lisant jusqu'à sa fin le message que j'ai adressé dans mon allocution...
« Mesdames, Messieurs, …
« J’invite Julien Lafosse à venir à mes côtés… je vous dirai à la fin de mon propos les raisons de cette présence…
« Notre Fête Nationale est fille de la fête de la Fédération, symbole de la Nation émergente, et petite-fille de la prise de la Bastille, symbole de l’absolutisme renversé.
« La Révolution française nous a appris cette vérité : c'est de notre responsabilité que procède notre liberté.
NE PAS ABANDONNER LA NATION AUX NATIONALISTES
« En cette période particulière où les Britanniques quittent l’Europe, l'Europe qui s'est construite pour la Paix, où les différences comme les immigrations imposées par des horreurs sont stigmatisées, où des fanatiques massacrent au nom d'une divinité, je veux rappeler une évidence républicaine : la Nation, c'est le partage.
« D’abord ainsi que l’a pensée et écrit Hugo en 1869, - je le cite -"elle [la nation] sera plus que nation, elle sera civilisation… elle s’appellera l’Europe au vingtième siècle, et, aux siècles suivants, elle s’appellera l’Humanité, nation définitive".
« Puis comme Jaurès, qui pense la nation comme lieu de socialisation, elle sera - je cite - "un moyen de liberté et de justice (…), un affranchissement de tous les individus (...), au-dessus de toutes nos paresses, de tous nos égoïsmes."
« Ces hommes, Hugo et Jaurès, reconnus de leur vivant, restés grands dans l’Histoire, nous donnent, aujourd’hui, matière à réflexion. C’est bien pourquoi il ne faut pas, surtout pas, abandonner la nation aux seuls nationalistes.
« Jaurès qualifie ces derniers de "misérables patriotes qui, pour aimer et servir la France, ont besoin de la préférer".
Il leur oppose un principe : "c’est le devoir pour tout citoyen d’accroître en sa patrie les forces de liberté et de justice". Il ajoute, enfonçant le clou, que promouvoir un nationalisme étriqué, "c’est créer chez tous les peuples un parti pris d’aveuglement, d’infatuation, d’injustice et de violence".
« Ainsi quiconque se préfère délibérément aux autres ne leur reconnaît qu’un droit inférieur ; et c’est le ferment de toutes les iniquités, jusqu'à tous les attentats.
DES SYMBOLES POUR MAINTENIR NOS CONSCIENCES EN ÉVEIL
« Il nous faut utiliser ces moments solennels de mémoire, ces jalons de rencontre commémorative qui rythment notre vie de citoyens, pour, bien sûr, poser nos regards sur notre histoire, mais aussi maintenir nos consciences en éveil. Et les symboles nous y aident.
« Parlant de symboles, j’ai choisi, en ce 14 juillet, le retour aux sources… vous raconter le drapeau, notre drapeau. C’est un signifiant représentatif, c'est l’image de la France. Il est, avec Marianne qui coiffe un bonnet phrygien - un anti-signe d’esclavage -, avec "La Marseillaise", notre hymne, la devise républicaine, "Liberté Egalité Fraternité", et notre laïcité, l’incarnation de la République française, "cette République qui a donné aux citoyens le pouvoir dans l’ordre politique" et, ajoute Jaurès, qui "doit maintenant donner le pouvoir et l’autonomie dans l’ordre économique".
« Ainsi l’identité nationale de la France est... la Révolution.
« Les valeurs de la République puisent à cette source révolutionnaire : un jour, les dominés ont renversé les dominants au nom d’un idéal des Lumières et, de ce geste fou, est née notre République française.
« Voilà ce que ces symboles et le drapeau nous rappellent. Delacroix ne s’y est pas trompé en peignant en 1830 "La Liberté guidant le peuple", une Marianne coiffée portant haut l’étendard républicain. Que nous disent tous ces symboles ? Que la République vit cette recommandation : il faut faire avec les autres ce que l’on ne peut pas faire seul !
« "La nation française reprend ses couleurs", avait résumé Louis-Philippe en restaurant l’emblème tricolore le 1er août 1830, après quinze années de drapeaux blancs comme lys. Cent quatre-vingt-cinq ans plus tard, les attentats du 13 novembre ont fait ressurgir dans les mains, aux fenêtres, sur les balcons et dans les cœurs de toutes origines, ici et ailleurs dans le Monde, les couleurs bleu-blanc-rouge de la Nation française.
DU VERT AU BLEU-BLANC-ROUGE
« On nous a appris à l'école que le drapeau tricolore a été créé en 1789, sous l'impulsion de La Fayette, par l'adjonction au blanc royal des couleurs de Paris : le bleu et le rouge (qui ont aussi celles de La Seyne, mais la Révolution était bien loin de chez nous... on s'est plutôt bien rattrapés après...). C'est en réalité beaucoup plus compliqué.
« D'abord, avant le drapeau, il y a eu la cocarde tricolore. Mais celle-ci a été à deux doigts d'être verte, imaginée par Camille Desmoulins, la veille de la prise de la Bastille, portée par 10.000 hommes en armes face aux troupes royales. Vous imaginez un drapeau vert ?!...
« Mais l'histoire va très vite dans ces journées dramatiques : dès le lendemain, la cocarde verte est oubliée, remplacée par décret par une autre aux deux couleurs rouge et bleu de Paris.
« Quatre jours plus tard, Louis XVI se rend à l'Hôtel de Ville - escorté de 100.000 hommes, c'était plus sûr -, et se voit remettre la cocarde bleu et rouge qu'il pique à son chapeau. Une légende dit que le roi l'a posée sur sa cocarde blanche, scellant la réconciliation entre la royauté et Paris.
« Ce qui est avéré, c'est que la cocarde tricolore va s'imposer. En atteste ce décret de l'Assemblée pour interdire les cocardes noires, prises comme symboles par des contre-révolutionnaires : "L'Assemblée déclare que la cocarde aux couleurs rouge, bleue et blanche est la seule que les citoyens doivent porter ; elle fait défense à tout particulier d'en porter d'autre."
« Mais il ne s'agit encore que de cocardes. Revenons au drapeau... On le doit à une rébellion d'esclaves et il va dériver d'un incident. En septembre 1790, une escadre doit partir de Brest vers Saint-Domingue, pour mater une révolte de Noirs qui réclament la liberté. Mais les marins, dans un esprit révolutionnaire, refusent d'aller réprimer la liberté de ces hommes. Ils se mettent en grève, et vont contester jusqu'au pavillon blanc qui flotte sur leurs vaisseaux.
« L'Assemblée nationale est saisie et cherche des compromis. Elle propose de remplacer le pavillon blanc par un pavillon "aux couleurs nationales". Je vous épargne le détail des débats houleux pour ne retenir que les propos de Mirabeau vantant les trois couleurs : "ce signe de ralliement de tous les amis, tous les enfants, de la liberté", cette "enseigne du patriotisme", qu'il oppose à la couleur blanche, qu'il désigne comme "la couleur de la contre-révolution". Et il poursuit : "Elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales ! Elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats et de la gloire, mais comme celui de la sainte confraternité des peuples, des amis de la liberté sur toute la terre, comme la terreur des conspirateurs et des tyrans !"
ET POURQUOI PAS LE DRAPEAU ROUGE ?
« Nous y voilà. L'histoire du drapeau ne s'arrête pas là : Napoléon le façonnera à sa façon en y flanquant des aigles. A la Restauration, le blanc revient. Ce n'est qu'en 1830 que le drapeau tricolore est définitivement adopté. Même si les insurgés de 1848 exigent sans succès un drapeau rouge...
« Rouge ? Pourquoi rouge ? Au début de la Révolution, le rouge n'avait encore rien de... révolutionnaire. Le drapeau rouge existait déjà, il était, tenez-vous bien… le symbole de la répression. Il était déployé par la garde nationale que commandait La Fayette pour alerter du danger. Un peu comme aujourd'hui sur une plage, le rouge est dressé les jours de mauvais temps (ça me permet de dire que, sur l'anse des Sablettes, le pavillon bleu est de mise et l'agence régionale de santé a évalué, il y a quelques jours, les eaux de Mar-Vivo : elles ont été, qu’on se le dise et quoi qu'on ait pu lire ou entendre, qualifiées d’excellentes).
« Ainsi, en 1791, après l'arrestation du roi Louis XVI, le peuple se met à détruire les symboles royaux. Alors que plusieurs milliers de personnes se regroupent au Champ-de-Mars et menacent de renverser la royauté, on proclame la loi martiale et on déploie le drapeau rouge. Une monstrueuse fusillade éclate et de nombreux manifestants sont tués : 10 selon la police, 400 selon les organisateurs, des dizaines selon les historiens.
« A partir de là, les révolutionnaires vont utiliser le drapeau rouge par bravade et par dérision, en souvenir du Champ-de-Mars. Et voilà comment le rouge devint révolutionnaire…
« Je reviens donc à 1848 et à la foule insurgée réclamant le drapeau rouge. Lamartine la retourne dans un discours resté célèbre : "Je repousserai jusqu'à la mort ce drapeau de sang, (…) le drapeau rouge que vous rapportez n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, (…) et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie."
LA NATION EST UNE IDÉE, UNE INVITATION AU PARTAGE
« Un décret de cette année-là confirme le drapeau tricolore comme emblème national. Il l’est toujours, pavois de nos bâtiments publics, dans les mains des supporters, aux fenêtres et aux balcons. Et surtout dans nos têtes et dans nos cœurs.
« Car la nation est une idée, une invitation à partager : la somme des intérêts particuliers n’a jamais porté l’intérêt général.
« Le souverainisme consistait à se donner les moyens pour se passer des autres et, quand on ne les avait pas, à recourir à la force. "Le sabre devient le seul outil de la société (…) ; la bonne foi, qui doit toujours éclairer la face des nations, s’éclipse à chaque instant dans l’ombre où s’élaborent les traités (…) ; la sociabilité humaine est en péril".
« Et Victor Hugo renchérit - puisque c’est lui qui parle, en 1841 - "La grande nation a des frontières invisibles (…) ; elles ne s’arrêtent qu’aux bornes du monde civilisé (…) ; il reste à dévouer sa pensée au développement continu de la sociabilité humaine". Il ajoute qu’il convient "d’avoir les populaces en dédain et le peuple en amour"… et aussi, à destination de la jeunesse, qu’il nous revient de "répandre largement nos encouragements et nos sympathies sur ces générations encore couvertes d’ombre qui languissent faute d’air et d’espace". On ne saurait mieux dire cent soixante-quinze années plus tard !
« Et, puisqu'on parle de jeunesse, on y vient, pourquoi ce jeune homme à mes côtés ? Vous le savez, La Seyne est marraine de la Préparation Militaire Marine "Amiral Trolley de Prévaux" qui, par la présence de son piquet, honore nos cérémonies commémoratives. Elle permet à des jeunes gens de consacrer une partie de leur temps libre, durant toute la période qui correspond à l'année scolaire, à se former et exercer leur esprit civique tout en se préparant à la découverte d’un possible monde professionnel à venir. Et, cette année, le major de la promotion est un Seynois, celui là-même qui se tient à mes côtés, Julien Lafosse, manifestant le lien indéfectible entre l'armée et la nation. Je vais avoir le plaisir de lui remettre le "Prix d’honneur de la ville de La Seyne".
« Alors, vive notre jeunesse, vive notre France républicaine, vivent son drapeau et ses symboles, et vive l’Europe et le Monde des peuples épris de liberté et d'amitié. »