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Mesdames, Messieurs,
Nous avons vécu, le 26 juin dernier, à l'occasion de « Tous sur le pont », un moment émouvant mais festif, empreint, à l'image de la vie, de ce mélange de douleur et de bonheur, de nostalgie et de promesses de renouveau.
Ce fut un moment qui redonna à nombre d’entre nous le plaisir, la fierté, l’humilité, c’est selon… Et ce, que l’on soit l’enfant, le descendant ou l’un de ces hommes, au sens large, qui ont donné leur sueur, leur savoir-faire, leur santé, leur génie, leur amour, aux Chantiers Taylor, aux Forges et Chantiers de la Méditerranée, aux CNIM, à la NORMED.
Et ce fut aussi l’occasion de passer la Porte principale, au son de cette sirène qui rythma pendant si longtemps les petits matins du port, à pied, à vélo, en gris de chauffe ou en habit de ville.
Il faut bien le reconnaître et l'admettre, la page est désormais tournée. 20 ans ont passé. Nous tournons la page pour mieux aborder l’avenir.
Notre volonté est de le faire dans la dignité du souvenir. Pas question de faire table-rase de notre mémoire comme il a été fait des bâtiments et des installations ! Beaucoup, certains diront beaucoup trop, ont disparu. En fait, il en reste trois : la Porte principale, l’atelier de construction mécanique, et le Pont. Les grandes formes aussi, et le môle d'armement, qui permettent l’accueil des grands yachts et des navires de croisière géants, faisant de La Seyne un site unique et recherché.
Non, l’économie et l’industrie seynoises ne sont pas derrière nous mais bien présentes et réelles.
Je ne reviendrai que brièvement sur la Porte principale : les 26 et 27 juin 2009, la population a rendu un hommage inédit à la mémoire ouvrière. Pour une fois, La Seyne arborait fièrement à sa boutonnière, non plus comme un signe d'infamie mais comme une distinction honorifique, cette culture industrielle et populaire. Et les visiteurs, nos voisins, ou les nouveaux Seynois, ont senti cette émotion, la force optimiste de cette évocation, avec le passage symbolique de la porte des chantiers.
Chaque année, en plus de célébrer la dénomination officielle « La Seyne-sur-Mer » acquise en 1889, les 26 juin devront dorénavant marquer ce souvenir et donner chaque fois l’occasion conviviale de se retrouver, pour un clin d’œil, respectueux de l’identité artisanale, ouvrière, industrielle de notre ville.
Ce qui nous assemble aujourd’hui, c’est le Pont. L’ex-pont levant désormais mis en lumières, et avec quel éclat ! On se souviendra de ce magnifique feu d’artifices, qui nous disait que sans héritage et sans passé les humains ne sont rien.
Notre Pont semblait figé pour l'éternité. Et voilà que son nouvel ascenseur le transforme en belvédère.
Une belle idée… à partir du moment où le choix a été fait de le « désarmer » . Oui, faute des moteurs De Dion Bouton, il ne sera plus jamais abaissé. Ce symbole-là disparait. C’est dommage, mais c'est ainsi. Il était autosuffisant. Il était un des tout premiers ponts à bascule et contrepoids, sur deux axes et une travée mobile, de 42 m de haut, un joyau de la technologie de 1913, année où les travaux de mise en place débutèrent.
Bien sûr, avec le belvédère, une nouvelle contrainte financière est apparue : financer le fonctionnement, la mise en sécurité au quotidien (certains mauvais plaisantins ont déjà voulu dégrader la plateforme), le gardiennage, la gestion de l’ascenseur, les caméras de surveillance… Vous voyez : une belle idée mais une idée coûteuse…
Cependant, ne boudons pas notre plaisir… Le pont est un peu une tour de guet, une sentinelle, un aide-mémoire. Un repère pour le temps passé, un phare pour les temps qui viennent. Une fois là-haut vous verrez La Seyne, de Berthe à Janas, de La Rouve à Saint-Elme, de Châteaubanne aux Sablettes et à Tamaris... Et les monts et les mers qui s'entremêlent à l'entour des villes de notre belle rade.
D’un signal fort du vécu industriel, voilà le pont assigné à devenir un signal fort de la vocation touristique de la ville.
Ce n’est pas vraiment un virage, tout au plus un équilibrage réaliste. Je l’ai dit, la page de la construction navale telle que nous l’avons connue pendant 150 ans est tournée, nous renouons avec la destination balnéaire de Tamaris mais étendue à l’ensemble de la commune.
Il est avéré que le passé est porteur d'avenir et d'énergie, et quand il est mis en valeur, il est carrément un atout touristique. De par le monde, les exemples ne manquent pas, les lieux de mémoire rencontrent le succès, lorsqu'ils sont des espaces ludiques, pédagogiques, émouvants.
Notre littoral est exceptionnel. Notre patrimoine, auquel ces deux journées sont dédiées, est riche et remarquable : Les Moulières, avec la redécouverte des lavoirs et des moulins, les cabanes lacustres des mytiliculteurs, le centre ancien avec ses maisons autant provençales et génoises, le village Pouillon des Sablettes, l’Institut Michel Pacha de Tamaris, le parc paysager Fernand Braudel, le musée de Balaguier qui reviendra prochainement sur le bagne, les forts, le savoir-faire industriel et technologique que de belles entreprises continuent à exploiter...
Ce patrimoine demande une exploitation, au sens noble du terme. Une exploitation raisonnée. Nous avons tout à révéler des atouts originaux de notre ville, de ce qui la rend unique au monde, comme toutes les villes de caractère !
Des pistes ont été laissées en déshérence, elles sont à développer, je pense en particulier à un sentier « Bonaparte ».
Car il est quand même surprenant que, sous l’influence de Toulon qui, on le comprend, veut oublier qu’elle s’est donnée à l’Anglais, personne n’ait eu la volonté d’exploiter la reconquête de cette ville par la Convention les 16 et 17 décembre 1793.
Et c’est bien de La Seyne qu’un jeune capitaine de 23 ans, Bonaparte, donna au général Carteau dont le QG était à Ollioules, une leçon de stratégie ! Il se rendit maître des défenses de la rade et entraina le départ de la flotte anglaise.
Il faut que je vous raconte. Bonaparte part d’un lieu improbable où il installe une batterie, que, pour forcer le courage des artilleurs, il nomme « batterie des hommes sans peur » (sur les hauteurs du quartier Sainte-Anne, pas bien loin au Sud d'ici)? c’est l’assaut du Fort Murgrave, sur la colline Caire, connu aujourd'hui sous le nom de Fort Napoléon. Il y fut héroïque, blessé à la jambe, son cheval mort sous lui. Ce fort était la clef de Toulon. De là, il soumet le fort de Balaguier, puis celui de l’Aiguillette, provoquant par le retournement des canons de ces forts, la mise en danger de la flotte anglaise. La chute de Toulon est alors irréversible, la Convention punira les Toulonnais en rebaptisant leur ville "Port la Montagne". Et Bonaparte passera du grade de capitaine à celui de général.
Mais nous avons bien d’autres projets… notamment celui, engagé de concert avec notre agglomération, d'un pôle de compétitivité s'appuyant sur les très hautes technologies de la Mer.
Parce que c'est de la mer qu'a été fait notre passé économique. Et que c'est d'elle que renaît notre devenir.
C’est bien à La Seyne que l’on vient d'imaginer et de construire le premier catamaran de débarquement, avec une plateforme élévatrice révolutionnaire. Une belle invention, promise à un bel avenir, des CNIM qui renouent ainsi avec leur talent dans la construction navale.
Comme c'est à La Seyne que l'on construisit au XIXe siècle de petits navires à vapeur, les premiers en Europe ! Le 18 mai 1838, c’est sur un bateau à vapeur que Stendhal se rend à la jolie petite ville de La Seyne. Il ajoute, dans Les mémoires d’un touriste : « j’ai vu, malgré la pluie, de beaux bateaux à vapeurs en construction ». Ce bateau à vapeur était-il le « La Seyne n°1 » surnommé familièrement le « Mourre Nègre » en raison de la tête sculptée qui faisait office de figure de proue ? Achevé en 1837 par les chantiers Mathieu, il assurait, depuis l’origine de la ligne Toulon-La Seyne, un service régulier.
Et, puisqu’on parle de vapeur, je me dois d’évoquer Le Laborieux. Le projet de rénovation est déjà ancien, le temps mis à obtenir les financements, réduits, ont rendu les devis caducs. Nous sommes en train de les réactualiser. Florence Cyrulnik suit le dossier, l’idée est de présenter ce valeureux remorqueur, mais à terre.
Nous avons le projet d’organiser des circuits culturels vers les forts, les plages ou le centre historique avec des guides, parfois une mise en scène avec des conteurs de rue. Un cheminement historique sur le Parc de la Navale qui partirait du pont et qui identifierait les hauts lieux disparus par un texte, une photo, qui passerait par la petite et la grande cale.
Je veux évoquer aussi l’ouverture prochaine de la Maison du Patrimoine qui fédérera les multiples associations préoccupées par l’histoire et la mémoire de la ville. Le célèbre psychiatre et éthologue Boris Cyrulnik, à qui on demandait de transposer le concept de « résilience » à une communauté humaine, répondait en substance : il faut de la solidarité et retrouver ses racines. C'est très exactement notre projet.
Ce pont belvédère est donc l’occasion de porter un nouveau regard. Je l’ai dit, jamais personne, sauf les grutiers des chantiers ou les métallos du haut des méthaniers en construction, n’a eu l’occasion de dominer le port et ses abords d’un point de vue si élevé ; mais c’est aussi porter un nouveau regard sur un nouvel essor des ports.
Je le disais, nous devons développer, avec Ollioules et l'agglomération, le Pôle de compétitivité Mer… qui a toute sa place au port de Brégaillon, avec ses infrastructures à optimiser, et aussi à améliorer, avec les belles entreprises qui y sont déjà installées, et avec le talent des hommes qui construisent la richesse de notre ville et de notre rade.
Et je pense à ces dockers qui ont subi le départ de la ligne La Seyne-Rome comme un vol, la société Grimaldi usant des aides européennes pour son seul profit.
Et, là aussi, il faudra que TPM lève la tête et regarde un peu au loin : le site mérite mieux qu’un hangar destiné au stockage des décors de l'opéra, dont je viens d'ailleurs de refuser le permis de construire, parce que la priorité est aux équipements porteurs d'économie et d'emploi, et qu'on ne peut se priver du moindre espace pouvant avoir une utilité technologique ou industrielle.
Nous voulons aussi saisir les opportunités de la grande plaisance, les croisiéristes, l'accueil des grands yachts… Et les circuits culturels trouveraient là un débouché essentiel ; nous nous organisons pour répondre mieux à ces besoins émergeants.
La reconversion de l’atelier mécanique… nous n’abandonnons pas les perspectives économiques, toujours liés aux métiers de la mer ; avec le port de plaisance, ce sont de bons projets que nous avons trouvés en arrivant.
Ils n’étaient qu’ébauchés, mais on fait tout pour les faire aboutir. Seulement, s'agissant du port de plaisance, un projet de quelque 50 millions d'euros, c'est toujours difficile, ça prend toujours du temps. La législation et les réglementations (sur la dépollution des anciens sites industriels, par exemple) sont devenues plus contraignantes, la crise rend difficile la commercialisation des anneaux (récemment, la société délégataire a d'ailleurs baissé ses prix)...
Les problèmes ne sont pas entièrement résolus. Nous travaillons. Ce qui est sûr, c’est que l’atelier mécanique conservera sa structure métallique « Eiffel », et le signal de ses briques rouges. Il y aura aussi un espace de mémoire dédié à la construction navale, et nous consulterons toutes les bonnes volontés pour en définir la destination et les contenus dans la perspective d’une réalisation viable et économiquement pérenne …
Par ces détours, j’ai voulu montrer combien, sur ces sites, la ville a de bonnes cartes à jouer. Mais permettez que je revienne au Pont et à son histoire.
Il est devenu au fil du temps une sorte de totem, présent dans tous les esprits, photographié ou représenté par les artistes. Quatre-vingt-neuf ans après sa mise en marche, ce monument, inscrit depuis 22 ans à l'inventaire des Monuments Historiques au titre du Patrimoine Industriel, va rendre à la ville de nouveaux services.
Pour donner l’accessibilité au public, la structure métallique à été entièrement rénovée et stabilisée en position verticale, avec un renforcement des structures du quai et la sécurisation de l’ensemble.
Un hall vitré de 20 m² en rez-du-pont, inséré dans le contrepoids découpé, permet l'accès à l’ascenseur panoramique. La gestion du nombre de personnes (19 maximum pour le belvédère) est prise en compte par un comptage automatisé de ceux qui entrent dans l'ascenseur et de ceux qui en sortent.
Un système d'escaliers dessert les différents paliers du pont vertical. Le coût total est de 3.5 millions d’euros.
Il faut remercier le cabinet BGEP, l’architecte Robert Masse, qui ont conduit le projet et l’architecte des Bâtiments de France pour ses précieux conseils et la mise en lumières.
Commandé en 1913, livré en 1917, le Pont rendra des services considérables à la construction navale seynoise, pôle mondialement connu pour ses navires cuirassés avec des coques de fer et d’acier et symbole d'une haute technicité.
Avec sa mise en service, exit les charrettes à bois tirées par des chevaux qui acheminaient les matériaux en provenance de la gare. Levé et abaissé plusieurs fois par jour, il permettait aux convois ferroviaires d'atteindre l'intérieur du site industriel.
La Seconde Guerre mondiale a failli lui être fatale. En juin 1944, il est miné par les troupes allemandes, avec des charges disposées de part et d'autre de la darse ; le sang-froid de quelques-uns, résistants de l'intérieur, qui débranchèrent les câbles d’allumage, l’épargnera. Il assistera à la destruction totale des chantiers. Tout a été anéanti, sauf le pont, malgré les bombardements alliés, peut-être grâce à sa proximité avec la batterie anti-aérienne des Allemands... mais nul ne le sait vraiment.
Au chapitre des anecdotes, on se souviendra de ce train fou qui, en 1971, à la suite d'une erreur, partira de la gare, traversera l'avenue d'Estienne d'Ores, la départementale 559, et toutes les voies qui mènent au monument aux morts, pour plonger dans le port, puisque, parti sans crier gare, le pont était levé. Un miracle qu'il n'y ait eu aucune victime, sauf peut-être quelques gobis bleus, assommés par l'énorme masse de ferraille.
Mais la mondialisation et la délocalisation de la construction navale ont fini par avoir raison de son activité. Il fonctionnera une dernière fois, le jeudi 2 octobre 1986, lors d'une manifestation syndicale.
Son classement, puis sa rénovation, étaient bien la seule façon de permettre à tous les Seynois de ne pas voir un pan de leur histoire leur échapper.
Et, d'un simple point de vue touristique, une occasion unique d'admirer l'une des plus belles rades d'Europe.
Nous avons vécu, le 26 juin dernier, à l'occasion de « Tous sur le pont », un moment émouvant mais festif, empreint, à l'image de la vie, de ce mélange de douleur et de bonheur, de nostalgie et de promesses de renouveau.
Ce fut un moment qui redonna à nombre d’entre nous le plaisir, la fierté, l’humilité, c’est selon… Et ce, que l’on soit l’enfant, le descendant ou l’un de ces hommes, au sens large, qui ont donné leur sueur, leur savoir-faire, leur santé, leur génie, leur amour, aux Chantiers Taylor, aux Forges et Chantiers de la Méditerranée, aux CNIM, à la NORMED.
Et ce fut aussi l’occasion de passer la Porte principale, au son de cette sirène qui rythma pendant si longtemps les petits matins du port, à pied, à vélo, en gris de chauffe ou en habit de ville.
Il faut bien le reconnaître et l'admettre, la page est désormais tournée. 20 ans ont passé. Nous tournons la page pour mieux aborder l’avenir.
Notre volonté est de le faire dans la dignité du souvenir. Pas question de faire table-rase de notre mémoire comme il a été fait des bâtiments et des installations ! Beaucoup, certains diront beaucoup trop, ont disparu. En fait, il en reste trois : la Porte principale, l’atelier de construction mécanique, et le Pont. Les grandes formes aussi, et le môle d'armement, qui permettent l’accueil des grands yachts et des navires de croisière géants, faisant de La Seyne un site unique et recherché.
Non, l’économie et l’industrie seynoises ne sont pas derrière nous mais bien présentes et réelles.
Je ne reviendrai que brièvement sur la Porte principale : les 26 et 27 juin 2009, la population a rendu un hommage inédit à la mémoire ouvrière. Pour une fois, La Seyne arborait fièrement à sa boutonnière, non plus comme un signe d'infamie mais comme une distinction honorifique, cette culture industrielle et populaire. Et les visiteurs, nos voisins, ou les nouveaux Seynois, ont senti cette émotion, la force optimiste de cette évocation, avec le passage symbolique de la porte des chantiers.
Chaque année, en plus de célébrer la dénomination officielle « La Seyne-sur-Mer » acquise en 1889, les 26 juin devront dorénavant marquer ce souvenir et donner chaque fois l’occasion conviviale de se retrouver, pour un clin d’œil, respectueux de l’identité artisanale, ouvrière, industrielle de notre ville.
Ce qui nous assemble aujourd’hui, c’est le Pont. L’ex-pont levant désormais mis en lumières, et avec quel éclat ! On se souviendra de ce magnifique feu d’artifices, qui nous disait que sans héritage et sans passé les humains ne sont rien.
Notre Pont semblait figé pour l'éternité. Et voilà que son nouvel ascenseur le transforme en belvédère.
Une belle idée… à partir du moment où le choix a été fait de le « désarmer » . Oui, faute des moteurs De Dion Bouton, il ne sera plus jamais abaissé. Ce symbole-là disparait. C’est dommage, mais c'est ainsi. Il était autosuffisant. Il était un des tout premiers ponts à bascule et contrepoids, sur deux axes et une travée mobile, de 42 m de haut, un joyau de la technologie de 1913, année où les travaux de mise en place débutèrent.
Bien sûr, avec le belvédère, une nouvelle contrainte financière est apparue : financer le fonctionnement, la mise en sécurité au quotidien (certains mauvais plaisantins ont déjà voulu dégrader la plateforme), le gardiennage, la gestion de l’ascenseur, les caméras de surveillance… Vous voyez : une belle idée mais une idée coûteuse…
Cependant, ne boudons pas notre plaisir… Le pont est un peu une tour de guet, une sentinelle, un aide-mémoire. Un repère pour le temps passé, un phare pour les temps qui viennent. Une fois là-haut vous verrez La Seyne, de Berthe à Janas, de La Rouve à Saint-Elme, de Châteaubanne aux Sablettes et à Tamaris... Et les monts et les mers qui s'entremêlent à l'entour des villes de notre belle rade.
D’un signal fort du vécu industriel, voilà le pont assigné à devenir un signal fort de la vocation touristique de la ville.
Ce n’est pas vraiment un virage, tout au plus un équilibrage réaliste. Je l’ai dit, la page de la construction navale telle que nous l’avons connue pendant 150 ans est tournée, nous renouons avec la destination balnéaire de Tamaris mais étendue à l’ensemble de la commune.
Il est avéré que le passé est porteur d'avenir et d'énergie, et quand il est mis en valeur, il est carrément un atout touristique. De par le monde, les exemples ne manquent pas, les lieux de mémoire rencontrent le succès, lorsqu'ils sont des espaces ludiques, pédagogiques, émouvants.
Notre littoral est exceptionnel. Notre patrimoine, auquel ces deux journées sont dédiées, est riche et remarquable : Les Moulières, avec la redécouverte des lavoirs et des moulins, les cabanes lacustres des mytiliculteurs, le centre ancien avec ses maisons autant provençales et génoises, le village Pouillon des Sablettes, l’Institut Michel Pacha de Tamaris, le parc paysager Fernand Braudel, le musée de Balaguier qui reviendra prochainement sur le bagne, les forts, le savoir-faire industriel et technologique que de belles entreprises continuent à exploiter...
Ce patrimoine demande une exploitation, au sens noble du terme. Une exploitation raisonnée. Nous avons tout à révéler des atouts originaux de notre ville, de ce qui la rend unique au monde, comme toutes les villes de caractère !
Des pistes ont été laissées en déshérence, elles sont à développer, je pense en particulier à un sentier « Bonaparte ».
Car il est quand même surprenant que, sous l’influence de Toulon qui, on le comprend, veut oublier qu’elle s’est donnée à l’Anglais, personne n’ait eu la volonté d’exploiter la reconquête de cette ville par la Convention les 16 et 17 décembre 1793.
Et c’est bien de La Seyne qu’un jeune capitaine de 23 ans, Bonaparte, donna au général Carteau dont le QG était à Ollioules, une leçon de stratégie ! Il se rendit maître des défenses de la rade et entraina le départ de la flotte anglaise.
Il faut que je vous raconte. Bonaparte part d’un lieu improbable où il installe une batterie, que, pour forcer le courage des artilleurs, il nomme « batterie des hommes sans peur » (sur les hauteurs du quartier Sainte-Anne, pas bien loin au Sud d'ici)? c’est l’assaut du Fort Murgrave, sur la colline Caire, connu aujourd'hui sous le nom de Fort Napoléon. Il y fut héroïque, blessé à la jambe, son cheval mort sous lui. Ce fort était la clef de Toulon. De là, il soumet le fort de Balaguier, puis celui de l’Aiguillette, provoquant par le retournement des canons de ces forts, la mise en danger de la flotte anglaise. La chute de Toulon est alors irréversible, la Convention punira les Toulonnais en rebaptisant leur ville "Port la Montagne". Et Bonaparte passera du grade de capitaine à celui de général.
Mais nous avons bien d’autres projets… notamment celui, engagé de concert avec notre agglomération, d'un pôle de compétitivité s'appuyant sur les très hautes technologies de la Mer.
Parce que c'est de la mer qu'a été fait notre passé économique. Et que c'est d'elle que renaît notre devenir.
C’est bien à La Seyne que l’on vient d'imaginer et de construire le premier catamaran de débarquement, avec une plateforme élévatrice révolutionnaire. Une belle invention, promise à un bel avenir, des CNIM qui renouent ainsi avec leur talent dans la construction navale.
Comme c'est à La Seyne que l'on construisit au XIXe siècle de petits navires à vapeur, les premiers en Europe ! Le 18 mai 1838, c’est sur un bateau à vapeur que Stendhal se rend à la jolie petite ville de La Seyne. Il ajoute, dans Les mémoires d’un touriste : « j’ai vu, malgré la pluie, de beaux bateaux à vapeurs en construction ». Ce bateau à vapeur était-il le « La Seyne n°1 » surnommé familièrement le « Mourre Nègre » en raison de la tête sculptée qui faisait office de figure de proue ? Achevé en 1837 par les chantiers Mathieu, il assurait, depuis l’origine de la ligne Toulon-La Seyne, un service régulier.
Et, puisqu’on parle de vapeur, je me dois d’évoquer Le Laborieux. Le projet de rénovation est déjà ancien, le temps mis à obtenir les financements, réduits, ont rendu les devis caducs. Nous sommes en train de les réactualiser. Florence Cyrulnik suit le dossier, l’idée est de présenter ce valeureux remorqueur, mais à terre.
Nous avons le projet d’organiser des circuits culturels vers les forts, les plages ou le centre historique avec des guides, parfois une mise en scène avec des conteurs de rue. Un cheminement historique sur le Parc de la Navale qui partirait du pont et qui identifierait les hauts lieux disparus par un texte, une photo, qui passerait par la petite et la grande cale.
Je veux évoquer aussi l’ouverture prochaine de la Maison du Patrimoine qui fédérera les multiples associations préoccupées par l’histoire et la mémoire de la ville. Le célèbre psychiatre et éthologue Boris Cyrulnik, à qui on demandait de transposer le concept de « résilience » à une communauté humaine, répondait en substance : il faut de la solidarité et retrouver ses racines. C'est très exactement notre projet.
Ce pont belvédère est donc l’occasion de porter un nouveau regard. Je l’ai dit, jamais personne, sauf les grutiers des chantiers ou les métallos du haut des méthaniers en construction, n’a eu l’occasion de dominer le port et ses abords d’un point de vue si élevé ; mais c’est aussi porter un nouveau regard sur un nouvel essor des ports.
Je le disais, nous devons développer, avec Ollioules et l'agglomération, le Pôle de compétitivité Mer… qui a toute sa place au port de Brégaillon, avec ses infrastructures à optimiser, et aussi à améliorer, avec les belles entreprises qui y sont déjà installées, et avec le talent des hommes qui construisent la richesse de notre ville et de notre rade.
Et je pense à ces dockers qui ont subi le départ de la ligne La Seyne-Rome comme un vol, la société Grimaldi usant des aides européennes pour son seul profit.
Et, là aussi, il faudra que TPM lève la tête et regarde un peu au loin : le site mérite mieux qu’un hangar destiné au stockage des décors de l'opéra, dont je viens d'ailleurs de refuser le permis de construire, parce que la priorité est aux équipements porteurs d'économie et d'emploi, et qu'on ne peut se priver du moindre espace pouvant avoir une utilité technologique ou industrielle.
Nous voulons aussi saisir les opportunités de la grande plaisance, les croisiéristes, l'accueil des grands yachts… Et les circuits culturels trouveraient là un débouché essentiel ; nous nous organisons pour répondre mieux à ces besoins émergeants.
La reconversion de l’atelier mécanique… nous n’abandonnons pas les perspectives économiques, toujours liés aux métiers de la mer ; avec le port de plaisance, ce sont de bons projets que nous avons trouvés en arrivant.
Ils n’étaient qu’ébauchés, mais on fait tout pour les faire aboutir. Seulement, s'agissant du port de plaisance, un projet de quelque 50 millions d'euros, c'est toujours difficile, ça prend toujours du temps. La législation et les réglementations (sur la dépollution des anciens sites industriels, par exemple) sont devenues plus contraignantes, la crise rend difficile la commercialisation des anneaux (récemment, la société délégataire a d'ailleurs baissé ses prix)...
Les problèmes ne sont pas entièrement résolus. Nous travaillons. Ce qui est sûr, c’est que l’atelier mécanique conservera sa structure métallique « Eiffel », et le signal de ses briques rouges. Il y aura aussi un espace de mémoire dédié à la construction navale, et nous consulterons toutes les bonnes volontés pour en définir la destination et les contenus dans la perspective d’une réalisation viable et économiquement pérenne …
Par ces détours, j’ai voulu montrer combien, sur ces sites, la ville a de bonnes cartes à jouer. Mais permettez que je revienne au Pont et à son histoire.
Il est devenu au fil du temps une sorte de totem, présent dans tous les esprits, photographié ou représenté par les artistes. Quatre-vingt-neuf ans après sa mise en marche, ce monument, inscrit depuis 22 ans à l'inventaire des Monuments Historiques au titre du Patrimoine Industriel, va rendre à la ville de nouveaux services.
Pour donner l’accessibilité au public, la structure métallique à été entièrement rénovée et stabilisée en position verticale, avec un renforcement des structures du quai et la sécurisation de l’ensemble.
Un hall vitré de 20 m² en rez-du-pont, inséré dans le contrepoids découpé, permet l'accès à l’ascenseur panoramique. La gestion du nombre de personnes (19 maximum pour le belvédère) est prise en compte par un comptage automatisé de ceux qui entrent dans l'ascenseur et de ceux qui en sortent.
Un système d'escaliers dessert les différents paliers du pont vertical. Le coût total est de 3.5 millions d’euros.
Il faut remercier le cabinet BGEP, l’architecte Robert Masse, qui ont conduit le projet et l’architecte des Bâtiments de France pour ses précieux conseils et la mise en lumières.
Commandé en 1913, livré en 1917, le Pont rendra des services considérables à la construction navale seynoise, pôle mondialement connu pour ses navires cuirassés avec des coques de fer et d’acier et symbole d'une haute technicité.
Avec sa mise en service, exit les charrettes à bois tirées par des chevaux qui acheminaient les matériaux en provenance de la gare. Levé et abaissé plusieurs fois par jour, il permettait aux convois ferroviaires d'atteindre l'intérieur du site industriel.
La Seconde Guerre mondiale a failli lui être fatale. En juin 1944, il est miné par les troupes allemandes, avec des charges disposées de part et d'autre de la darse ; le sang-froid de quelques-uns, résistants de l'intérieur, qui débranchèrent les câbles d’allumage, l’épargnera. Il assistera à la destruction totale des chantiers. Tout a été anéanti, sauf le pont, malgré les bombardements alliés, peut-être grâce à sa proximité avec la batterie anti-aérienne des Allemands... mais nul ne le sait vraiment.
Au chapitre des anecdotes, on se souviendra de ce train fou qui, en 1971, à la suite d'une erreur, partira de la gare, traversera l'avenue d'Estienne d'Ores, la départementale 559, et toutes les voies qui mènent au monument aux morts, pour plonger dans le port, puisque, parti sans crier gare, le pont était levé. Un miracle qu'il n'y ait eu aucune victime, sauf peut-être quelques gobis bleus, assommés par l'énorme masse de ferraille.
Mais la mondialisation et la délocalisation de la construction navale ont fini par avoir raison de son activité. Il fonctionnera une dernière fois, le jeudi 2 octobre 1986, lors d'une manifestation syndicale.
Son classement, puis sa rénovation, étaient bien la seule façon de permettre à tous les Seynois de ne pas voir un pan de leur histoire leur échapper.
Et, d'un simple point de vue touristique, une occasion unique d'admirer l'une des plus belles rades d'Europe.